EDITO : Un Premier ministre belgo-flamand de droite

30 décembre, 2011

La déclaration d'Elio Di Rupo le jour même de la première réunion de son gouvernement entrera dans l'histoire comme le jour le plus sombre de la dépendance wallonne en Belgique. Ce Premier ministre wallon que les Wallons n'appelaient pas de leurs voeux à la tête d'un gouvernement belge est en train de perdre la tête. Il bêle.

Le gouvernement belge doit soutenir trois partis flamands...

Lisons Le Soir du 26 décembre, p. 16 (qui a été probablement mal lu, c'était le lendemain du réveillon) : « Les ministres viennent à peine de prêter serrment entre les mains du Roi. Chacun cherche un peu sa place, le 6 décembre à la grande table ronde du Seize, rue de la Loi. Le tout nouveau Premier Ministre, Elio Di Rupo préside son premier Conseil des ministres. Il prend la parole. Son intervention est quelque peu solennelle. Il y  va de la survie des familles politiques traditionnelles en Flandre. Il s'agit bien là de sa priorité absolue «Nous devons tout faire pour soutenir les partis flamands de la majorité, pour leur faire gagner les prochaines élections. Nous devons être parfaitement conscients que leur position n'est pas facile. Nous leur sommes redevables de l'effort qu'ils ont fait.» »

Il y a encore plus consternant que cela, outre le peu de réactions vraiment vives dans les médias à une telle révélation, c'est le fait que, comme l'écrit toujours Le Soir« Le plaidoyer pour un soutien indéfectible aux trois partis flamands de la majorité peut sembler inhabituel, mais il ne surprend personne à la table. »

... mais personne n'est surpris dans ce gouvernement!

Personne n'est surpris! Les Wallons et les francophones sans doute si désireux, comme l'a fait entendre Joëlle Milquet,  de garder un Etat fédéral significatif, elle que l'on n'a jamais vu fort soucieuse de voir un Etat wallon significatif, qu'ils s'oublient eux-mêmes! Sans même comprendre que, dans les circonstances où nous sommes, avec des traits accentués de confédéralisme dans le fédéralisme (au point qu'un Vincent de Coorebyter a pu dans La Revue Nouvelle de janvier 2008, p. 42 déclarer  : «Dans l'exercice de leurs compétences, les Communautés et les Régions sont souveraines. Exactement comme un Etat est tout à fait indépendant dans sa sphère de souveraineté, même s'il est par ailleurs membre d'une confédération. C'est le cas depuis 1994.»), il s'agit là tout simplement, chez Joëlle Milquet, d'une déclaration d'irresponsable. En effet, tout le monde le sait, une institution ne vit pas assise sur ses simples mécanismes législatifs. Elle a besoin d'adhésion populaire, de symboles qui unifient et qui entraînent. Et l'on sait à quel point dans l'opinion publique en dépit du fait que 51% des ressources publiques sont affectés aux entités fédérées qui totalisent en outre 90% des fonctionnaires des organes supérieurs de l'Etat,  1, l'opinion publique peine à croire déjà seulement  au fédéralisme, alors que c'est la seule chance de la Wallonie.

Or la réforme de l'Etat va accentuer les pouvoirs des Régions!

Or, la présente réforme de l'Etat belge va encore augmenter considérablement le poids des entités fédérées au point que l'on peut se demander, certes au jugé mais non sans improbabilité, si la Flandre ne disposera pas bientôt (du seul fait de son nombre et de son poids dans l'Etat fédéral, pas en raison de son nationalisme, mais automatiquement), de plus de ressources publiques que l'Etat belge lui-même 2. Et ceci, alors que la Flandre bénéficie d'une adhésion populaire à ses institutions sans comparaison avec ce qu'elle est à Bruxelles et en Wallonie. Une Flandre qui, elle, n'a pas le problème de la -  si l'on peut dire - bi-régionalité de la Wallonie et de Bruxelles qui jette la confusion en tout et partout de ce côté de la frontière linguistique parce que l'on ne sait pas ce qui est  de la compétence de la Wallonie ou de la Communauté française, ce qui enlève au simple citoyen, mais également au citoyen mieux informé, la capacité à dire dans quel jeu fédéré il joue exactement. Une Flandre qui, de plus, bénéficie à la faveur d'une politique de domination et d'exclusive qu'elle arrive encore à mener dans l'Etat (même fédéral, notamment en ce qui concerne certaines aides européennes 3), d'une économie bien plus prospère que la Wallonie.

Le rôle politique malsain et antidémocratique de Monsieur Synthèse...

Plusieurs membres du comité de rédaction de cette revue ont assisté, médusés, à l'automne 2005, à un Colloque sur les régions européennes et la culture à l'Hôtel de Ville de Mons. Chaque participant était invité à s'exprimer en vingt minutes et était prié évidement aussi d'écouter ce que disaient les autres. On a vu vers 11 heures du matin, le bourgmestre de Mons, absent jusque là, venir s'exprimer sans interruptions pendant une heure, sans qu'on l'ait vu donc avant, pour dire qu'il se devait en tant que responsable politique au niveau wallon, de la Communauté française, belge et européen de faire la synthèse. Cet homme de la synthèse s'est sans doute cru autorisé, au nom de cette capacité surhumaine, de quitter immédiatement le colloque après son exposé, sans saluer personne en particulier et sans attendre les réactions à son discours (de toute façon, chacun était consterné et sidéré). Mais si Di Rupo possède le fameux savoir absolu de Hegel qui est aussi une synthèse...

... va maintenant se jouer en faveur de la domination flamande et de l'aveuglement wallon

Nous savons maintenant comment M. Di Rupo va effectuer la synthèse au niveau belge. Que le lecteur ne croie pas que nous allons exagérer. Ou s'il le craint qu'il relise d'abord les premières paroles du Premier Ministre, lors de son premier conseil de gouvernement, le 6 décembre 2011. Nous affirmons, sereinement et en pesant nos mots, que donner comme premier objectif à un gouvernent belge, composé de Bruxellois, de Wallons et de Flamands, de tout mettre en oeuvre pour que trois partis flamands (les libéraux, les socialistes et les démocrates-chrétiens), gagnent les élections en 2014, c'est vraiment apporter à la Flandre le soutien de toutes les forces politiques belges à la politique de domination qu'elle mène depuis un siècle. Il ne s'agit même pas de lâcheté ou d'impéritie. Il s'agit d'un projet mûrement réfléchi. Dira-t-on que les partis flamands en cause sont des modérés? Sans doute par rapport à la NVA. Dira-t-on que de ce fait - si du moins le plan Di Rupo réussit - la Belgique va demeurer ce qu'elle est? Même pas! Puisque l'on sait très bien qu'en Flandre on veut la fameuse révolution copernicienne qui fera passer l'Etat fédéral encore plus au second plan en vue de mettre les entités fédérées définitivement au premier. Ce qui somme toute n'est qu'une façon parfaitement légitime que la Flandre a choisi pour pousser les feux du confédéralisme.

Malheureusement, nous n'avons pas que des observateurs scrupuleux du système institutionnel belge. Nous avons des dirigeants wallons et francophones qui nous trompent. Qui ne nous disent pas quelle est la réalité de ces institutions belges confédérales. Et qui, comme Olivier Maingain, font du confédéralisme un système qui menacerait économiquement la Wallonie et Bruxelles alors qu'il est en place depuis dix-huit ans (depuis 1993)! 4. Combien de fois le président du FDF n'a-t-il pas répété ces déclarations du 31 mai 2011? Combien de fois n'entend-on pas Laurette Onkelinx vanter les mérites du roi des Belges, allusion à une Belgique antédiluvienne puisque le roi n'intervient plus en rien dans la politiques des entités fédérées, ces mêmes entités fédérées qui doivent devenir - et qui sont déjà devenues (voir Lagasse) - plus importantes que l'Etat belge. Et doit-on rappeler cette pénible Brabançonne chantée avec Joëlle Milquet sur la place des Martyrs le 27 septembre 2007? On s'étonne que les rattachistes désespèrent de la Wallonie? Mais ces gens-là font leur jeu! A moins qu'ils ne soient déjà dans le leur...

L'homme des bons bêtes de Wallons belges à tout prix

Tout Wallon un peu informé, un peu conscient de la réalité des rapports de force à l'intérieur du pays a les bras et les jambes coupés lorsqu'il rencontre des compatriotes qui ne veulent entendre parler que de Belgique et qui le suspectent de séparatisme (comme au bon vieux temps de La Libre Belgique de grand-papa dans les années 1970), ne serait-ce que parce qu'il adhère aux aspects les plus audacieux et uniques du fédéralisme belge comme le fait que les Etats fédérés sont évidement aussi souverains en matière de politique extérieure, comme le dit Charles-Etienne Lagasse à propos de la réforme de l'Etat de 1993  « il n'eût pas été cohérent (…) que leur autonomie s'arrêtât à leurs frontières, d'autant moins que la vie des États s'inscrit chaque jour davantage dans un contexte international 5.» 

Que ces bons bêtes de Wallons belges à tout prix se réjouissent, non pas que leur Premier ministre soit un Wallon (ce qui aurait déjà l'air trop nationaliste ou particulariste), mais que leur Premier Ministre soit déterminé, pour sauver la Belgique, comme il le dit depuis qu'il est président du PS en 1999 (car il ne semble pas vouloir abandonner ce poste, l'homme de la synthèse!), mais qu'il soit disposé à faire toutes les concessions voulues aux Flamands des trois partis flamands au service desquels il veut mettre le gouvernement de tous les Belges, voilà qui n'étonne pas. 

Certes, ces Flamands des trois partis flamands  en question sont  des gens honorables (d'ailleurs ceux de la NVA aussi qui ont si proches sur le plan social et économique de cette même NVA dont Di Rupo se soucie tellement puisqu'il applique aussi sur ce terrain leur programme), mais ils n'ont certainement pas la vision stupidement belgicaine d'un homme qui pourtant est intelligent.

Et qui fait quoi en bêlant pour la Flandre?  Sinon réaliser ce programme absurde de notre ami (sans ironie cette fois), Philippe Van Parijs qui semble avoir très bien compris que le français a dominé le néerlandais en Belgique mais qui a toutes les peines du monde à comprendre que la Wallonie est une minorité dépendante en Belgique depuis 1830 comme le disait si bien Michel Quévit, il y a plus de trente ans, dans cette interview. Et Destrée il y aura maintenant un siècle, raison pour laquelle un communiste comme Claude Renard admire, dans un bouquin à relire même s'il est paru il y a près d'un demi-siècle, sa lucidité. Il invite les Wallons à parler le néerlandais pour réparer une injustice réelle,  oubliant l'autre 6 qui maintient des niveaux records de chômage dans toutes les grandes villes wallonnes. Philippe Van Parijs se contenterait-il simplement - pour que tout soit juste - que tous les chômeurs wallons parlent le néerlandais? 

On trouvera, sur cette page d'accueil sur la revue en ligne, les raisons pour lesquelles la revue TOUDI s'oppose radicalement au programme insensé d'austérité mené par le gouvernement Di Rupo. On comprendra dès lors qu'en fait de synthèse, Di Rupo représente la synthèse entre la droite pure et dure, wallonne ou non, et le nationalisme flamand. Puisque si nous comprenons bien, c'est pour faire gagner le VLD que son gouvernement a décidé de faire payer la crise aux chômeurs, aux futurs pensionnés, aux veuves et à la Wallonie pour ses programmes d'équipement économiseurs d'énergie des  maisons de tout un chacun.

Quel dégoût! Quelle tristesse! Quelle pitié!

  1. 1.  Charles Etienne Lagasse, Les nouvelles institutions politiques de la Belgique et de l'Europe, Erasme, Namur, 2003, pp. 288-289.
  2. 2. On sait que 17 milliards d'euros de compétences vont être transférés aux entités fédérées...
  3. 3. Tableaux tirés de ''Flandre-Wallonie. Quelle Solidarité?" (Aides européennes 1989-2013)
  4. 4. Pour Olivier Maingain, le confédéralisme est une machine de guerre économique contre Bruxelles
  5. 5.  Charles-Étienne Lagasse, Les nouvelles institutions de la Belgique et de l'Europe, Erasme, Namur, 2003, p. 143.
  6. 6. Critique : Flandre-Wallonie. Quelle solidarité ? Michel Quévit (Couleurs livres)

Commentaires

Une info qui a échappé à cet Edito

Le fait que le Premier ministre continuerait à envisager le plan B pour la Belgique soit la scission du pays, ce qui est fort étonnant ? Ou pas? http://www.levif.be/info/actualite/belgique/le-plan-b-d-elio-di-rupo-la-...