EDITO : Le Parlement du peuple wallon

16 octobre, 2016

 

Le Parlement de Wallonie

Le Parlement de Wallonie

Ce qu'il y a peut-être de plus instructif dans certaines réactions après le NON de la Wallonie au CETA (le traité de commerce entre l'Union européenne et le Canada) de ce vendredi 14 octobre 2016, c'est le nombre de personnes qui, malgré tout, ont vraiment de la peine à concevoir que le Parlement de Wallonie puisse effectivement refuser de ratifier un traité, refus qui, entraînant celui de la Belgique dans le cas du CETA, bloque la ratification pour l'Europe entière. Pourtant cette disposition constitutionnelle belge est effective depuis 1994. Il y eut d'ailleurs des pressions populaires sur le Parlement wallon (la FGTB, deux cents manifestants harangués par Dehousse, Bernard Wesphael au sein de celui-ci), pour rejeter le TCE (traité constitutionnel européen rejeté en France) en 2005. Idem pour le TSCG (le traité d'austérité) en 2013.  Parfaitement en vain ces deux jours-là. Il ne faut pas non plus s'étonner que la Wallonie ait le droit de se mêler de politique étrangère.

 

Béatrice Delvaux a raison de faire au moins l'hypothèse1 que, au cas où le PS (et le CDH), se seraient trouvés dans le gouvernement fédéral, il est possible (voire même probable), que le Parlement wallon ne se serait pas prononcé de la même façon. Mais elle revient à ce moment avec la nécessité de gouvernements fédéraux qui seraient composés de la même façon que les gouvernements régionaux, des coalitions dites « symétriques ». Ce vœu est à bien des égards contraire à l'esprit même du fédéralisme qui se fonde sur l'idée que les différentes composantes d'un Etat fédéral se gouvernent de manière autonome. En fonction de multiples raisons. Mais aussi plus basiquement en fonction du résultat des élections dans chacun d'eux dont il n'est précisément jamais acquis qu'elles seront identiques ou que les partis qui pourraient former la majorité au niveau régional seraient nécessairement partants pour constituer la majorité fédérale. Souhaiter que la Belgique soit gouvernée par les mêmes coalitions au fédéral et dans les entités fédérées, c'est un vœu tout de même fort unitariste. Au surplus, est-ce encore possible aujourd'hui ? Certes il y a encore des familles politiques transversales comme les socialistes du PS et du SPA, les démocrates-chrétiens du CD&V et du CDH (même si ce dernier parti a abandonné l'étiquette chrétienne), les libéraux du MR et de l'Open-VLD ou les écolos de Groen et d'Ecolo. Mais ni le Vlaams Belang, ni la NVA n'ont d'équivalents en Wallonie, alors qu'ils représentent en Flandre une proportion importante de l'électorat presque égale à 40% des suffrages (les partisans d'une circonscription fédérale unique ont-ils songé aux difficultés que ce phénomèe pourtant important poserait ?).  Il n'existe pas non plus, ni en Wallonie ni en Flandre, de partis correspondants à Defi à Bruxelles et le PTB en Wallonie est incomparablement plus fort (ce qui pose la même question que nous posions dans les parenthèses précédentes), qu'il ne l'est en Flandre. Evidement, on répond souvent à ces objections par les sondages qui montreraient que les électeurs de la NVA ne seraient pas séparatistes. Mais on n'a jamais tenté de montrer que, que sais-je ?, les électeurs du PTB ne sont pas de gauche ou que ceux du MR le sont etc.

Forte demande d'associations valant toute la société wallonne

Ce dernier point a toute son importance. Le PTB est adversaire des traités européens d'austérité.  Le CETA est un traité avec un partenaire extérieur à l'UE, mais qui s'inspire de la même logique néolibérale que les autres traités européens 2, mais nous y reviendrons à la fin. Or le PTB progresse fortement dans les sondages manifestement au détriment du PS. Outre cela, il est remarquable que dans la société wallonne, s'opposent au CETA tout (ou presque tout) ce qu'elle compte de relais démocratiques et associatifs den première importance, soit par leur forte représentativité, soit par leur influence : les trois syndicats d'ouvriers et d'employés, FGTB, CSC, CGSLB, les trois mutuelles (chrétienne, socialiste, libérale), les syndicats agricoles, les syndicats des indépendants et PME, une association de défense des consommateurs comme Test-Achats, la Ligue des droits de l'homme, les mouvements ou réseaux chrétiens comme Entraide & Fraternité ou la Commission Justice et Paix, le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, les associations d'économie sociale comme Solidarité des alternatives wallonnes, les associations de défense de l'environnement comme Les amis de la terre, Inter-environnement Wallonie, les associations de défense du tiers monde comme le CNCD. Tous ces mouvements sont proches des partis opposés au CETA (le CDH, le PS, le PTB, Ecolo), qui sont largement majoritaires au Parlement de Wallonie. Ils ont aussi chacun à leur façon une influence évidemment énorme sur l'opinion et, à certains égards, par-delà les clivages idéologiques. Depuis le départ, leur opposition au CETA a été prise en compte par le Parlement de Wallonie dont le premier vote hostile date du 27 avril 2016. Il est remarquable que La Libre Belgique, journal manifestement hostile à la prise de position du Parlement de Wallonie, même si on l'imagine cependant proche du CDH, semble avoir repris la posture anti-wallonne des années antérieures à 1990 quand il représentait la droite unitariste du PSC. Ce journal estime que l'attitude du PS et du CDH pourrait ne relever « que d'un certain opportunisme politique basé sur la montée de la contestation contre le CETA [...] au sein de la population » 3, hypothèse fondée sur les informations venues du fédéral soulignant que la Wallonie s'est désintéressée de la concertation sur le sujet avec les responsables belges. Mais on peut lire aussi dans La Libre le point de vue de Demotte et de Di Rupo à cet égard qui le démentent. Cependant la veille dans son édito, Francis Van de Woestyne, acceptant certaines critiques faites au CETA, regrette le « pouvoir exagéré » donné aux entités fédérées. Et d'ailleurs, quand va-t-on cesser de dire que tenir compte des demandes de la population serait malsain ? Du moins sans en donner la raison comme s'il allait de soi en démocratie qu'il ne faut pas le faire.

Un pouvoir « exagéré » aux entités fédérées ?

Ni Francis Van de Woestyne, ni Bernadette Delvaux ne se posent la question de savoir si ce pouvoir « exagéré » aux entités fédérées pourrait un jour servir à la Flandre. Alors que, évidemment, la réponse est non. Personne ne semble se rendre compte dans les médias de la capitale que, coalitions symétriques ou pas au fédéral et au régional, la Flandre dispose toujours d'une majorité dans toute coalition politique possible en Belgique. On ne peut pas opposer à cela la courte minorité qui a été la sienne sous Di Rupo : ce chef du gouvernement avait même averti, lors de la première réunion de celui-ci le 6 décembre 2011, que les Wallons au gouvernement devaient prendre en considération le risque qu'avaient pris leurs partenaires flamands en rentrant dans un exécutif sans la NVA et étaient donc priés de tenir compte de la Flandre : il serait bon de relire ce que disait Le Soir en décembre 2011  dans l'édito qu'il avait fallu que nous écrivions après ces incroyables déclarations de Di Rupo : EDITO : Un Premier ministre belgo-flamand de droite. On peut comprendre qu'il faille tenir compte d'un partenaire mais ici comme si c'était la priorité des priorités, c'est inadmissible.

Autre erreur que l'on voit commettre par encore beaucoup plus de commentateurs comme Béatrice Delvaux (et même Dave Sinardet) : ce sont les Flamands qui ont voulu beaucoup de compétences aux Régions et ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes 4 : lors d'un vote il y a quelques années sur BHV, Béatrice Delvaux avait pareillement erré en présentant le vote Flamands contre Francophones intervenu alors comme le premier de ce genre, alors que cela a été le cas maintes fois par le passé et pas seulement sur les Fourons en 1962, mais aussi par exemple sur les propositions fédéralistes déposées par les parlementaires wallons en 1938, 1947, 1952 Béatrice Delvaux et la Wallonie (nouvelle édition augmentée). On devrait même ajouter à cela que, tout à fait contrairement à ce que veulent faire croire les unitaristes de la presse bruxelloise (un pléonasme), ce sont les Wallons qui ont toujours été les premiers à vouloir rompre avec la Belgique unitaire. Déjà la Lettre au Roi de Destrée et son retentissement en 1912 en est un exemple saisissant mais aussi, comme Paul Delforge l'a montré, tout le travail pour mettre sur pied un Parlement wallon dès cette date qui deviendra l'Assemblée wallonne. Il y a aussi les réunions séparées des socialistes et communistes wallons en 1938, la coloration wallonne et autonomiste de la Résistance, le Congrès national wallon de 1945, le ralliement de Renard au mouvement wallon en mars 1950 au Congrès national wallon extraordinaire tenu à Charleroi, la tentative d'un gouvernement wallon séparatiste en juillet 50 5, le vote de très nombreuses régionales de la FGTB wallonne en 1950-1954 en faveur du fédéralisme et évidemment le tournant réellement autonomiste pris par la grande grève de 60-61 (Grève de 60-61). On a été frappé par des déclarations récentes à ce sujet (mais qui recoupent bien d'autres déclarations précédentes) : le fédéralisme communautaire a sans doute été voulu par les Flamands pour défendre leur langue mais le fédéralisme régional a été voulu par les Wallons pour se libérer de la Belgique où ils sont minoritaires 6. Il est étrange que l'on ne parle de l'absence du PS au fédéral que pour expliquer le vote du Parlement wallon contre le CETA. Alors que cette absence du PS n'est pas si rare ou, plus exactement, le fait que sur la longue durée, la plupart des gouvernements belges ont été le plus souvent minoritaires en sièges et en voix en Wallonie : ce fut le cas de 1884 à 1914 et dans l'entre-deux-guerres, c'est chaque fois le cas simplement quand les socialistes ne sont pas au gouvernement. Après, il y eut un certain rééquilibrage mais imparfait, ce qui explique les violents soubresauts de juillet 1950 et de 1960-1961 qui ont chaque fois une portée autonomiste fort mal étudiée et fort mal comprise mais bien réelle, d'autant plus significative qu'elle se cherche au cœur de l'action. Même si l'Assemblée des élus socialistes wallons en janvier 1961 à Saint-Servais est peut-être un peu de la gesticulation, ce n'était pas vrai pour tous ceux qui y participaient. Et certainement pas pour Renard. Le véritable point de départ de la régionalisation, non de la communautarisation, ce ne sont pas les incidents linguistiques à Leuven mais la grève de 60-61 7.

Toutes ces raisons expliquent aussi que sans doute pour la première fois dans son histoire le Parlement de Wallonie est en profond accord avec la société civile qu'il représente, s'étant fait (ce qui n'est pas toujours le cas), le relais de ce qu'elle rejette dans le CETA. Et il est aussi très remarquable que, jamais, la Wallonie n'aura été aussi mal représentée dans les forces qui soutiennent le gouvernement fédéral, même pas le quart des suffrages wallons. Enfin il faut revenir sur les ISDS soi-disant modifié dans la dernière version du traité.

Le CETA a-t-il été corrigé ?

L'ISDS (Investor-State Dispute Settlement), est un mécanisme d'arbitrage qui donne pouvoir à une sorte de tribunal supranational de régler les différends qui pourraient survenir entre un Etat (et sa législation) et une entreprise (souvent une multinationale). Même Le Monde, journal néolibéral affirmé, pense que les garanties données par la dernière mouture de l'accord ne sont pas sûres. Il y a d'ailleurs dans ces revirements de l'UE dont se félicitent certains à gauche un paradoxe énorme. On commence par décider d'un fonctionnement ultralibéral que l'on « corrige » ensuite mais la correction n'est jamais celle du rétablissement d'un usage (comme lorsque l'on corrige une faute d'orthographe) correct (par exemple ici de la Justice), mais une correction qui ne fait que se rapprocher de l'usage normal qui entend que l'Etat soit souverain. Il ne s'agit donc jamais que de corrections qui ont de toute manière fait gagner des points au néolibéralisme et aux multinationales. Et même Le Monde reconnaît que cette nouvelle mouture de l'accord n'est pas satisfaisante8.

Jamais le Parlement de Wallonie n'aura été en phase à ce point avec ses électeurs, jamais un chef de gouvernement wallon n'aura eu la stature d'un Magnette pour porter ce beau défi, mais réfléchi, démocratique qui fait honneur à la Wallonie.

Jamais.

 

 


  1. 1. Le Soir du 15 octobre 2016
  2. 2. On peut déjà consulter à ce sujet Le Monde diplomatique http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2016-10-14-Rejet-du-Ceta-accroc-...
  3. 3. La Libre Belgique du 15 octobre 2016
  4. 4. Le Soir du 15 octobre 2016
  5. 5. http://www.larevuetoudi.org/fr/story/le-gouvernement-provisoire-wallon-de-1950
  6. 6. Annemie Neyts déclare dans Le Soir du 10 février 2009 que, dans une commission « Relations internationales » mise en place par Dehaene, début des années 90, elle a entendu Anne-Marie Lizin réclamer au nom du PS la scission du corps diplomatique belge.
  7. 7.  Initiatives séparatistes wallonnes
  8. 8. http://transatlantique.blog.lemonde.fr/2016/03/02/leurope-et-le-canada-modifient-leur-accord-ceta-pour-faire-taire-les-critiques/