Une Wallonie verte (Bernard Wesphael pour un "écorégionalisme") (II)

23 mai, 2009

Dans le chapitre IV de son livre, Bernard Wesphael s'attaque à la question du pétrole, non sans souligner au passage le fait que les Wallons ont été longtemps au sommet des révolutions technologiques en s'inspirant de l'ouvrage de la Fondation wallonne sur les Wallons de Suède et l'admiration qu'ils suscitaient encore au début du XXe siècle en Suède. Nous sommes profondément dépendants du pétrole. Or, il semble évident que le pétrole augmentera à nouveau quand l'actuelle récession sera dépassée. En outre, la question se pose de la viabilité de la Planète puisque l'on estime qu'en 2010, les émissions de CO2 de la Chine égaleront celles des USA. Les Chinois consomment 1 tonne d'équivalent/pétrole par habitant, les Européens 4 et les Américains 8.

Il ne faut d'ailleurs penser que la Belgique prise dans son ensemble n'aurait pas une grande part de responsabilité dans cette question qui concerne la Planète. Elle est en effet la 15e importatrice de pétrole dans le monde avec  546.000 barils par jour (p.70). Proportionnellement nous importons 37,5% d'énergie en plus que les Japonais.

La Suède a entrepris de se débarrasser de la dépendance au pétrole à l'horizon 2020 à travers économie d'énergie, maisons passives , énergies alternatives et limitation des déplacements en utilisant les techniques nouvelles comme les vidéos-conférences.

Pour le député écolo la Wallonie n'a pas une politique suffisamment dynamique en matière d'économies d'énergie, celles-ci n'étant pas assez liées au développement de nouvelles énergies. Il pense aussi que, en raison d'une très mauvaise isolation énergétique des logements en Wallonie, l'augmentation du prix de l'énergie risque de mettre en cause la cohésion sociale en Wallonie, déjà fragile (p.83).

Touchons du bois

Pour l'auteur, l'utilisation du bois devient de plus en plus rentable avec la mise au point de nouvelles chaudières à bois. Il propose une généralisation de la « cogénération » (produire simultanément de la chaleur et de l'électricité à partir du bois et du biogaz). Et cela à travers ce qu'il appelle des « réseaux de chaleur » c'est-à-dire des petites centrales construites au niveau local et reliant les consommateurs entre eux.  Il faut actuellement 48 milliards d'€ pour satisfaire les besoins en chaleur et électricité de 80% des logements wallons. Les propositions de l'auteur sur la cognéération, qu'il calcule longuement sur la base de l'hypothèse (selon lui optimiste) d'un barril de pétrole à 68 $,  seraient selon lui moins chères. En outre, l'installation de réseaux de chaleur serait créatrice d'emplois. Et enfin, ce choix est sans doute incontournable pour des raisons globales.

La libéralisation de l'énergie

Selon Interenvironnement /Wallonie (cité p.100), la libéralisation du prix de l'électricité n'a pas profité aux consommateurs wallons : « La libéralisation a profité aux clients résidentiels de la Région flamande pour deux raisons : les coûts de distribution y sont moins élevés que la moyenne nationale et les kWH gratuits accordés aux ménages par la Région flamande avant la libéralisation ont été maintenus sous le nouveau régime. En Wallonie, c'est le contraire , note la Commission de régulation de l'électricité et du gaz (CREG).  Les coûts de distribution y sont ainsi plus élevés que la moyenne nationale et l'alignement des tarifs fournisseurs sur ceux qu'ils pratiquent en Flandre, avec un terme fixe en nette hausse vis-à-vis de l'ancien tarif régulé, ont joué, en l'absence de kWH gratuits, un rôle défavorable (...) Les Wallons continuent donc à payer plus cher, essentiellement parce qu'ils habitent une région plus accidentée justifiant des surcoûts de réseau. »

Pour Bernard Wesphael, en matière d'électricité, on est passé d'un monopole privé, mais régulé, à un monopole privé qui ne l'est plus (p.105). « Toutes choses restant égales par ailleurs, la libéralisation du marché n'a donc entraîné chez nous aucune diminution du montant de la facture du gz et de l'électricité. » (p. 109).

De plus Electrabel a préparé la libéralisation en accélérant au maximum ses amortissements, mais en faisant payer cette accélération par une surfacturation des prix de l'électricité depuis vingt ans. Si les prix diminuent, c'est en raison de la récession actuelle. Mais le maché de l'énergie n'est pas réellement soumis à la concurrence en Belgique et en Wallonie, ce qui risque de frapper les ménages les plus fragiles. Si, en 2008, le Gouvernement wallon a prévu un arrêté pour venir en aide aux Wallons en difficulté de paiement, il n' a pas repris la mesure flamande qui consiste à octroyer des kWH gratuits.

Définition de l'écorégion

Dans le chapitre VIII Développement durable et nouvelle régulation wallonne, le député wallon propose la définition suivante de l'écorégion : « Le concept d'écorégion a d'abord visé une réalité écologique et biologique en lien avec un territoire. Il a primitivement désigné une zone géographique couvrant une assez large superficie et se différenciant par le caractère unique de sa morphologie, sa géologie, son climat, ses sols, ses ressources en eau, sa faune et sa flore. Sur la base de cette définition qui se trouve au coeur de son programme Global 200, le World Wildlife Fund (WWF), distingue 238 écorégions dans le monde. Dans d'autres cénacles, le concept d'écorégion a toutefois progressivement pris une signification davantage politique. Aussi, l'écorégion se définit en référence à des frontières administratives orchestrée par des organes politiques cohérents, une écorégion est un patrimoine écologique dont les terroirs sont les vecteurs d'expression de ses spécificités agronomiques, culturelles et sociales (...) L'écorégionalité participe d'un projet politique évident. Elle procède de la volonté de protéger les populations et de maintenir en bon état les ressources naturelles, prédispose les Etats à repenser les territoires et à ériger un schéma durable de territorialisation. Les Etats-Nations disposent de la compétence de la compétence et sont à même de décider l'architecture institutionnelle et territoriale, ainsi que de la définition de la stratégie de gestion des risques appelant à restaurer durablement les bassins de vie. Partir de nos spécificités wallonnes (ressources et filières endogènes et les relier explicitement à la gestion des risques (entre autres énergétiques), pourrait définir la base d'un nouveau Plan Marshall pour le redéploiement wallon. » (p. 132 : la partie en italique de la citation est elle-même une citation de Emmanuel  Bailly et de son étude sur l'écorégion paru dans Idem, mai 2005, p. 4.)

Le reste du chapitre est consacré à deux soucis de B.Wesphael. Le premier, c'est le constat que les économies d'énergie qui ont été aidées par la Région wallonne à la fois techniquement (audits gratuits), et financièrement, sont des mesures qui auraient été de toute façon prises par les entreprises. Les avantages ainsi obtenus sont de 12 millions d'€ en 2005 et pourraient atteindre 42 millions d'€ en 2010. En plus, ces investissements sont rentables et doivent être calculés en fonction du prix de l'énergie aujourd'hui. Le député écolo pense aussi que depuis que son parti n'est plus au gouvernement fédéral, la CREG  a perdu son indépendance et sa capacité de contrôle, notamment parce que son rôle a été défini en termes imprécis comme la réponse à une interpellation d'une députée écolo l'a montré. Pour B.Westphael, les efforts de Paul Magnette pour forcer Electrabel  à une contribution volontaire de 750 millions d'€ ne semblent pas devoir être suivis d'effets. Or cette somme est à mettre en face des 11 milliards d'€ de subsides évoqués plus haut  qui ont permis à Electrabel d'accélérer ses amortissements aux frais du contribuable.

L'auteur se réjouit par contre des efforts de la Région en vue d'aider les ménages à réaliser des économies d'énergie, mais il pense que les critères, les montants maximums sont mal fixés.

Pour un prolongement écologique du Plan Marshall

Prenant (comme à plusieurs autres reprises dans son livre), l'exemple de la Région Nord-Pas-de-Calais l'auteur propose que le Plan Marshall ait un prolongement écologiste. Il préconise l'utilisation du biogaz produit par la fermentation des matières organiques dans les marais ou les décharges. 4000 installations en Allemagne produisent à la fois de la chaleur et de l'électricité avec cette énergie. A Lille vingt bus roulent avec cette énergie dans l'agglomération, vingt-cinq autres sont prévus. Il estime aussi avec Albert Frère (p. 164), que le grisou des mines wallonnes - énergie renouvelable - devrait être exploité. Alors que dans d'autres pays, le grisou est placé dans la liste des énergies renouvelables, ce n'est pas le cas chez nous.

L'auteur regrette aussi que si l'UCL est impliquée dans la recherche en matière de réalisation de tours solaires, productrices d'électricité et devant qui s'ouvriraient des marchés potentiellement immenses, la Wallonie ne s'est pas impliquée dans le programme même si une université wallonne s'y consacre. Autre contradiction, le groupe belge Ecover (p. 168), leader mondial en matière de production de détergents écologiques a installé une usine importante près de Boulogne dans le Nord-Pas-de-Calais. Cet exemple n'en est qu'un parmi d'autres de la volonté du Nord Pas-de-Calais de se redresser à travers l'exploitation de la chimie verte.

Au total, B. Wesphael estime que l'ajout d'une dimension verte au Plan Marshall pourrait créer 46.000 emplois (logements durables, chimie verte et bioplastiques, énergies renouvelables, économie d'énergie dans les logements privés, agriculture biologique, collecte des eaux de pluie, dépollution des friches....).

Il met enfin en cause certains choix de l'actuel gouvernement wallon, comme le tout au photovoltaïque (alors qu'il aurait fallu aussi l'énergie solaire pour chauffer les bâtiments ou simplement l'eau), regrette l'inauguration d'une usine d'éthanol à Wanze, estimant que la Wallonie et l'Europe sont dans l'incapacité de concurrencer un pays comme le Brésil qui utilise ses immenses propriétés de cannes à sucre pour fabriquer le même produit à des coûts nettement inférieurs. Il pense aussi avec la FGTB que des initiatives devraient être prises en vue de rénover les bâtiments du secteur résidentiel et tertiaire, ce qui serait également créateur d'emplois. Enfin, on peut lire, dans Une Wallonie verte, une nouvelle charge contre ceux qui veulent pérenniser le nucléaire, industrie plus émettrice de CO2 qu'on ne veut bien le reconnaître.

Le député wallon conclut : « La reconnaissance par les grandes institutions internationales des apports spécifiques de l'écologie politique à la réflexion socio-économique est réelle, même si elle est tardive et encore très insuffisante. Elle est néanmoins de nature à doper le débat politique et citoyen sur l'écoindustrialité, l'écorégionalisme, le développement durable et leurs retombées sur le marché de l'emploi en Wallonie. Qui s'en plaindra? Assurément pas ceux qui croient en l'avenir de la Wallonie ! »

Ce dont on peut par contre se plaindre - et amèrement - c'est que de tels débats n'existent plus, tels qu'ils pouvaient être lancés par exemple par les Semaines sociales wallonnes du MOC. Ce dont on peut se plaindre aussi, c'est d'une certaine distance entre la sensibilité écologique et la sensibilité régionaliste alors qu'elles sont proches l'une de l'autre, soucieuses d'enjeux ultramodernes. Il est regrettable que le régionalisme wallon se soit peut-être durci en idéologie « nationaliste » (ou soit  perçu comme cela), et que le mariage qu'il avait opéré il y a quelques décennies avec la social-démocratie classique, il semble bien plus mal le réussir avec la social-démocratie écologiste. Pourtant, la Wallonie, inévitablement, devra trouver à synthétiser ces aspirations plus classiques ou plus vertes parce qu'elles  correspondent  à ses besoins les plus criants mais aussi parce que la Wallonie est sans doute l'un des espaces européens les plus aptes à mettre de tels projets en œuvre.

PS : On aurait aussi envie d'ajouter que le livre de Bernard Wesphael se distingue clairement des livres publiés en ce temps électoral(iste), mais qu'il aurait gagné à être rédigé plus clairement, en sériant les problèmes posés, en évitant les redites. On se dit que sur un tel sujet, quelque chose de plus vaste, de plus alerte devrait être écrit, toujours en mariant écologie et régionalisme. Voilà une rencontre qui tarde trop à se produire.

Une Wallonie verte (Bernard Wesphael pour un "écorégionalisme") (I)