Une Wallonie verte (Bernard Wesphael pour un "écorégionalisme") (I)

17 mai, 2009

Bernard Wesphael: Une Wallonie verte

Bernard Wesphael: Une Wallonie verte

Politique/économie

 

Politique/économie

Ce n'est pas sans une certaine joie que des responsables de revues peuvent se rendre compte que certains hommes politiques les lisent. On nous pardonnera d'introduire de cette manière à ce compte rendu du livre de Bernard Wesphael Une Wallonie verte, Etopia, Namur, 2009. Mais avant de préciser ce dont il s'agit, notons tout d'abord l'intérêt du livre de Bernard Wesphael en cette campagne électorale où, le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'est pas la formulation de projets de société pour la Wallonie qui domine la clameur nationale wallonne...

Et si nous-mêmes pouvons dépenser énormément de temps à écrire un Livre Blanc pour une Wallonie maîtresse de tous les leviers de son développement, c'est parce que nous sommes des Wallons et des hommes de gauche convaincus, mais qui, en outre, ne sommes pas face à une échéance électorale.

Le mérite de Bernard Wesphael n'en est que plus grand d'avoir proposé ce livre à notre lecture 1.

Une vision écologiste de gauche...

D'entrée de jeu, le chef de groupe ECOLO au Parlement wallon  se dit très soucieux de l'emploi en Wallonie. Il met en cause (p.15) la politique de relance de l'emploi menée par le Gouvernement fédéral de Verhofstadt, consacrant six milliards d'€, distraits de la Sécurité sociale. Pour B.Wesphael, ces six milliards n'ont en fait servi à rien parce que les emplois qu'ils ont subsidiés auraient de toute façon été créés. Il suffit d'interroger autour de soi les personnes employées dans les petites et les grandes entreprises. Dans les grandes entreprises, il existe des postes (souvent parmi les plus rétribués), dont les responsables sont chargés d'analyser comment on peut bénéficier des effets d'aubaine d'une telle politique. Dans les plus petites entreprises où l'on n'a pas le temps de le faire, les patrons les plus sociaux peuvent s'irriter de savoir que l'on mène des  politiques de l'emploi qui ne créent aucun emploi, quand on reçoit (cela ne déplaît pas évidemment), les nouvelles au fil des mois des subsides auxquels donne droit l'embauche de personnes que l'on a de fait accueillies comme travailleurs dans l'entreprise, mais sans être à même (faute de temps, tellement cela demande du temps), de voir que telle ou telle pouvait donner lieu à des primes dans le cadre de cette politique. C'est ce qu'explique B.Wesphael: "Ces six milliards n'ont pourtant pas été perdus pour tout le monde. En effet, il en a résulté un gigantesque "enrichissement sans cause". Les économistes parent plus volontiers dans leur jargon, d'effet d'aubaine. L'octroi des réductions de charges n'étant lié à aucune condition particulière d'embauche, les entreprises ont, en dépit de tout bon sens, reçu des subsides pour des postes de travail qu'elles auraient créé de toute façon." (p.15)

Citant les économies d'énergie à réaliser dans les maisons privées (p.16) (qui ont un niveau d'isolation en Wallonie équivalent à celui des pays méditerranéens), la révolution culturelle de l'après-pétrole, B.Westphael parle de créer "un sursaut collectif qui redonnera à la Wallonie et aux Wallons la possibilité de connaître une prospérité durable..." (p. 17). Il estime, notamment sur la base des emplois écologiques créés en Allemagne qu'une politique de développement durable en Wallonie pourrait y créer 45.000 emplois, notamment dans la chimie verte, la construction et le logement durables, l'utilisation rationnelle de l'énergie, l'assainissement des friches industrielles... (p.19). Le député ECOLO parie sur l'extension des compétences régionales quand il réclame la création d'un écorégionalisme: "Le déploiement de l'écorégionalisme comme stratégie de développement s'adossera, en effet, à des acteurs publics forts qui permettront de contrecarrer les visées monopolistiques de grands groupes privés en matière énergétique et garantiront, du même coup, le renforcement de la sécurité sociale. En ces matières, la Région wallonne reste fortement tributaire du fédéral. Cependant, cette dépendance doit être relativisée. En effet, le processus d'approfondissement du fédéralisme placera de plus en plus les Wallons devant leurs responsabilités. Cela, quelle que sera l'issue des négociations institutionnelles en gestation! Bien sûr la Région wallonne devra légitimement se battre pour qu'en cas de nouveaux transferts de compétences, les moyens financiers suivent. Néanmoins, cela ne suffira pas à garantir le redéploiement économique de la Wallonie. Ne nous leurrons pas, en effet. Au même titre qe les indispensables transferts de moyens financiers, la Wallonie a besoin d'un projet novateur." (p. 21).

... et régionaliste

Dans le chapitre I de son livre Trente ans de chantage à l'emploi, cela suffit!, il met en cause la manière de compter les chômeurs en Wallonie et propose de s'attaquer franchement aux déficits réels en la matière et cela sans nécessairement tomber dans l'autoflagellation wallonne que nous avons souvent dénoncée dans la revue, notamment face aux concurrents wallons des pires ditatribes du Vlaams Belang. Ce discours mériterait d'être mieux connu et plus diffusé.

Dans le chapitre II, L'Europe néolibérale n'est pas au service de l'emploi!, il constate - c'est un chiffre qui n'est pas assez souvent publié et diffusé quand on veut raisonner politiquement de manière globale - que la part des salaires dans le PIB avait chuté de 75% à 68,5 %. Et cela parce que "Depuis les années 1980, les salariés ont été proportionnellement de moins en moins bien rémunérés tandis que le chômage et les revenus du capital ont grimpé en flèche." (p.42). Il montre avec Xavier Dupret que les allégements fiscaux consentis aux nantis aux USA provoquent un déséquilibre entre l'épargne et les investissements de telle sorte que soit défavorisée la production nationale au bénéfice d'investisseurs étrangers produisant au moindre coût. Même si la consommation des ménages demeure importante aux USA, en dépit de la destruction du pouvoir d'achat des Américains moyens, cela ne dément pas l'idée: si la consommation intérieure reste élevée aux USA, c'est en raison de l'endettement vertigineux des consommateurs américains. Les USA s'endettent non pour produire, mais pour consommer.

Bernard Wesphael cite l'entretien que nous avions eu avec Alain Lipietz en 1990, et constate avec ce que disait Lipietz dans TOUDI que c'est à l'échelle régionale que se concluent les compromis post-fordistes: "Dans les années 80, se sont affrontées deux façons de sortir de la crise. L'une purement libérale, l'autre qui n'est pas alternative, mais qui est quand même plus sociale qu'écologique. [...] Même l'Italie du Nord s'est plutôt ralliée à cette deuxième solution. [...] Cela implique de comprendre qu'il y a une écologie politique du travail.Je pense donc qu'il serait aussi ridicule de la part des écologistes de ne pas s'intéresser à l'écologie du travail, à la répartition des fruits du travail." 2. Il cite aussi le même entretien avec Lipietz craignant l'avènement d'une Europe "en peau de léopard" avec des régions avec de bons compromis sociaux et d'autres très taylorisées qui serviraient de zone de sous-traitance. Et il conclut: "Vingt ans plus tard, force est de constater que l'analyse de Lipietz s'applique à la Belgique fédérale. Si la Wallonie n'a pas encore complètement endossé ce rôle de sous-traitant taylorisé et appauvri au bénéfice de la Flandre et de ses régions voisines, c'est seulement parce que la sécurité sociale demeure en Belgique une compétence fédérale." (p. 48).

S'appuyant sur des études du Center and Ecomic Policy Research, il estime que si l'Europe adoptait les pratiques américaines, en augmentant notamment le nombre d'heures de travail, elle consommerait 30% d'énergie en plus par an. Il l'explique: "Les salaires horaires sont notoirement plus élevés sur le vieux continent qu'au pays de l'Oncle Sam, où le monde du travail s'appauvrit relativement plus vite que chez nous. Une meilleure réumunération du facteur travail oblige l'entreprise (pour cause de compétitivité dans une économie ouverte), à économiser sur d'autres postes de dépenses dans son procès de production (consommation d'énergie, de matière premières...). A contrario, accroître le poste "énergie" implique des économies sur es autres postes, dont le "travail"."

Enfin, il fait au Plan Marshall les mêmes critiques qu'Yves de Wasseige lui avait faites quand il a été publié 3 Si ce Plan s'organise autour de cinq axes (1.pôles de compétitivité, 2. stitmulation de la création d'activités, 3. allégement de la fiscalité des entreprises, 4. dopage de la recherche et de l'innovation en lien avec les entreprises, 5. susciter des compétences pour l'emploi), il ignore le développement durable et l'écologie industrielle. C'est trop tardivement (en 2008), que le gouvernement wallon a proposé que 50 millions d'€ soient investis dans les quatre axes pour atteindre une meilleure efficience énergétique. Le député Wesphael constate que le secteur industriel a vu sa consommation d'énergie diminuer de 10% (proportionnellement dans l'ensemble des dépenses d'énergies en Wallonie), depuis 1990 alors que le consommateurs ont augmenté leurs dépenses de 18% et les transports de 99%. Et il plaide en ce sens pour la création d'un Ministère du développement durable.

 

(A suivre: Une Wallonie verte (Bernard Wesphael pour un "écorégionalisme") (II)

 

 

  1. 1. Au prix modique de 12 €
  2. 2. Cité p. 48, voyez   Entretien avec Alain Lipietz
  3. 3. Yves de Wasseige écrivait : "Centrer tous les efforts sur les secteurs industriels liés à la mondialisation laisse de côté les activités qui dépendent des marchés locaux et des services collectifs. La construction et la rénovation de logements, les transports en commun, le tourisme, la plupart des activités culturelles, sportives et de loisirs sont des secteurs marchands qui ne dépendent pas de la mondialisation. Ils sont, pourtant, générateurs d'emplois stables et non soumis aux restructurations et délocalisations. Les services collectifs, privés et publics, comme l'administration, l'enseignement, l'éducation, les soins de santé, l'accueil des enfants ou celui des personnes âgées, sont fortement générateurs d'emplois et sources de création de richesses matérielles au sens du Produit intérieur brut mais, en même temps, créateurs de richesses immatérielles, non comptabilisées dans le PIB, telles que le niveau général de santé, l'allongement de la durée de vie, l'acquisition des savoirs, le développement culturel, tous éléments par ailleurs nécessaires dans une société de la connaissance et de l'innovation. Une estimation de l'emploi montre que les activités qui dépendent du développement local beaucoup plus que de la mondialisation représentent aujourd'hui environ 70% de l'emploi salarié total en Wallonie comme en Flandre et une très grande partie des emplois des indépendants." Voir son article de TOUDI à l'automne 2005 Avenir économique de la Wallonie. D'Yves de Wasseige, il est aussi intéressant de lire ces réflexions de 2000: Eléments de réflexion pour le mouvement wallon aujourd'hui