Enseignement secondaire : le caractère inéquitable du système éducatif de la Communauté française

Toudi mensuel n°63-64, mai-juin 2004
2 janvier, 2009

Depuis de nombreuses années, l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) organise des enquêtes internationales relatives à l'évaluation de l'enseignement, qui permettent de comparer entre elles les performances des différents pays. La dernière en date, dont les résultats ont été révélés et qui a touché l'enseignement secondaire, est le programme PISA1 2000 qui évalue les élèves de 15 ans dans trois domaines : la lecture et l'écriture (soit la "littératie"2), la culture mathématique et la culture scientifique, en axant l'évaluation sur la résolution de problèmes dans des contextes proches de la vie quotidienne.

La Communauté française, de même que les Communautés flamande et germanophone, ont participé, avec 31 autres pays à l'enquête PISA. Le test s'est déroulé au printemps 2000, dans 99 écoles de l'enseignement secondaire ordinaire et 3 écoles de l'enseignement spécial, retenues de manière aléatoire parmi la liste officielle des écoles de la Communauté française, ce qui représente un total de 2.818 élèves testés. La même enquête a été réitérée en 2003 et le sera une nouvelle fois en 2006. Cependant, tandis que PISA 2000 mettait surtout l'accent sur la "littératie", PISA 2003 s'est penchée de manière plus approfondie sur la culture mathématique (les premiers résultats devraient être rendus publics prochainement) et PISA 2006 développera davantage la culture scientifique.

Les élèves testés sont âgés de 15 ans, où qu'ils en soient dans leur scolarité. Si dans certains pays, tels que la Finlande ou le Royaume-Uni, quasiment tous ces élèves fréquentent un même niveau d'études (soit l'équivalent de la quatrième année d'enseignement secondaire), dans d'autres, comme en Belgique, en France ou en Allemagne, ils se répartissent dans plusieurs années d'études, en raison d'un recours plus ou moins fréquent au redoublement. De même les parcours d'apprentissage ne sont pas identiques : dans certains pays, le programme est unique ou fort semblable (enseignement unifié ou tronc commun), tandis que chez nous, les parcours sont différenciés selon des filières d'enseignement (générale, technique ou professionnelle) et des options (enseignement différencié).

L'objectif de cet article est de présenter les principaux résultats des élèves de la Communauté française à l'enquête PISA en les contrastant dans la mesure du possible avec les autres Communautés et quelques pays participants. L'accent sera mis sur les différentes dimensions de l'enquête qui permettent d'approcher le caractère équitable ou non des systèmes éducatifs.

 

1. Niveaux de compétences en "littératie"

Pour le domaine principal d'investigation de PISA 2000, à savoir la "littératie", cinq niveaux de compétences ont été déterminés, traduisant des tâches de plus en plus complexes à réaliser par les élèves. La proportion d'élèves atteignant les différents niveaux de difficultés a été calculée et est présentée schématiquement sur le graphique 1, pour les pays de l'Union européenne3.

 

G raphique 1 - Pourcentages d'élèves de 15 ans situés aux différents niveaux de compétence de l'échelle de lecture, par pays

 

mariedenisetableau

 

 

Source: OCDE, 2001.

 

Le graphique met en lumière une première singularité de la Communauté française. Si l'on s'intéresse aux plus faibles niveaux de compétences (les niveaux 1 et inférieur à 1), on compte en Communauté française 28 % d'élèves n'atteignant pas le niveau 2, contre 18 % en moyenne dans les pays de l'OCDE, 14 et 12 % respectivement en Communautés germanophone et flamande et seulement 7 % en Finlande, pays qui réalise la meilleure performance en la matière. Par contre, la Communauté française compte 8 % d'élèves atteignant le niveau 5 de performance, soit un pourcentage fort proche de la moyenne des pays de l'OCDE, qui est de 9 %. Les meilleurs élèves sont donc aussi nombreux chez nous qu'en moyenne dans les pays de l'OCDE. Le constat global est accablant : la Communauté française rejoint en effet le groupe des rares pays où la proportion d'élèves sous le niveau 1 est supérieure à 10 %. Parmi les pays européens, seul le Luxembourg, qui compte 14 % d'élèves dans cette catégorie, fait moins bien que la Communauté française (12 %).

Cette première analyse traduit de fortes disparités dans l'acquisition des connaissances par les élèves chez nous, avec, d'une part, une forte proportion d'entre eux ne disposant que de compétences rudimentaires en "littératie" et, d'autre part, une proportion significative d'élèves très compétents. Il s'agit là d'un premier indice d'inéquité de notre système d'enseignement. En effet, ainsi que le relève Lafontaine (2003), le fait que près de 28 % de nos élèves de 15 ans affichent un niveau de "littératie" très faible est un trait propre à notre système éducatif. Il ne s'agit pas là de la simple traduction ou conséquence d'une moyenne des résultats relativement basse. D'autres pays, qui obtiennent une moyenne en lecture proche de la Communauté française ont cependant des proportion d'élèves aux compétences très faibles inférieures à 20 %. Au-delà de ce constat, il importe de signaler que le faible niveau de connaissances d'une proportion non négligeable de jeunes de 15 ans peut aussi avoir des conséquences désastreuses pour la vie future de ces élèves. Leur niveau n'est en effet pas suffisant pour leur permettre d'acquérir des connaissances par la lecture et de tirer profit d'activités d'enseignement et de formation. Par ailleurs, leurs compétences réduites pourraient également entraver leur accès futur à l'emploi et leur insertion sociale.

 

2. Performance moyenne et dispersion des résultats des élèves

Si la première manifestation du manque d'équité du système éducatif en Communauté française était centrée sur l'importance des groupes d'élèves situés de part et d'autre de l'échelle de compétences, un autre moyen de résumer la qualité d'un système éducatif et de comparer la situation relative des pays est de se référer à une mesure de résultat moyen (soit la somme de la performance de tous les élèves d'un pays divisée par le nombre d'élèves). Cependant, les chiffres de performances moyennes occultent des variations significatives au sein même d'un pays, qui traduisent des différences de performance entre élèves, entre groupes d'élèves et entre établissements scolaires (90 % de la variation des résultats à l'enquête PISA peuvent être attribués à ces trois variables, tandis que les 10 % restant sont dûs à des différences entre pays). La performance moyenne n'est donc pas suffisante pour situer un pays sur l'échelle internationale. Elle doit s'examiner conjointement avec une mesure de dispersion des résultats.

Pour les trois domaines investigués ("littératie", cultures mathématique et scientifique), l'échelle des résultats est standardisée, autour d'une moyenne internationale de 500 et d'un écart type de 100 (l'écart-type est une mesure de la dispersion des résultats entre les élèves). Autour de la moyenne nationale, la dispersion des résultats des élèves d'un pays donné peut être plus ou moins étirée. La longueur de cet étirement est significatif de la (non) capacité du système éducatif considéré à faire acquérir de manière égalitaire les savoirs et connaissances indispensables à la vie en société.

La performance moyenne et la variation des résultats constituent, pour l'une, une mesure de l'efficacité du système éducatif (en moyenne, quel score atteignent les élèves d'un pays donné ?), pour l'autre, une mesure de son équité (y a-t-il de fortes différences de performance entre les plus compétents et les moins doués des élèves ?). Deux pays peuvent être également efficaces (leur performance moyenne est identique), mais différents sur le plan de l'équité, si l'un présente une plus forte dispersion des résultats que l'autre. Il va de soi que plus la dispersion des résultats entre élèves est élevée, moindre est l'équité du système éducatif concerné.

Schématiquement, les deux dimensions analysées peuvent être portées en graphique, l'axe horizontal représentant la performance moyenne du pays et l'axe vertical la dispersion des résultats. Sur ce graphique, les pays sont susceptibles, en fonction de la performance de leur système éducatif en termes d'efficacité et d'équité, de se situer dans quatre quadrants, délimités par les moyennes de l'OCDE (moyenne de performance égale à 500 et moyenne de dispersion des résultats égale à 100). Plus le système éducatif d'un pays sera performant, plus il se situera à droite du graphique, plus la dispersion des résultats sera grande, plus il se positionnera dans le haut. Un pays à la fois efficace (performance élevée) et équitable (faible dispersion des résultats) se trouvera par conséquent dans le quadrant en bas à droite. L'exercice a été réalisé pour la compréhension à la lecture et est présenté dans le graphique 2.

 

Graphique 2 - Performances moyennes et dispersion des résultats dans les pays européens, en ce qui concerne la compréhension à la lecture

 

Source: OCDE, 2001.

 

Sur l'axe vertical, la Communauté française est, avec l'Allemagne, le pays, en Europe, qui présente la plus grande hétérogénéité de résultats entre ses élèves, pour ce qui concerne la compréhension à la lecture. Les pays qui se positionnent le mieux par rapport à cette dimension sont l'Espagne, la Finlande, la Suède, la France et l'Italie. La Communauté flamande se situe entre ces pays et la moyenne de l'OCDE. Elle présente par conséquent moins de variations entre les performances de ses élèves qu'en moyenne dans l'OCDE, mais ne rejoint pas le groupe des meilleurs pays en la matière.

La Communauté française réalise également un mauvais score en termes de performance moyenne (axe horizontal). Seuls le Luxembourg, le Portugal et la Grèce font moins bien qu'elle sur ce plan, tandis que la Finlande, la Communauté flamande, l'Irlande et le Royaume-Uni se situent à l'autre bout de l'échelle et enregistrent les meilleures performances européennes, significativement supérieures à la moyenne de l'OCDE. Des résultats semblables sont obtenus pour ce qui concerne les mathématiques et les sciences.

Pour résumer, on peut conclure de l'analyse que la Finlande présente en Europe un système scolaire qui apparaît à la fois efficace (haute performance moyenne) et équitable (faible dispersion des résultats). Tandis qu'à l'autre extrémité de l'axe combinant efficacité et équité, on trouve la Communauté française. Ses piètres résultats invitent à un approfondissement de l'analyse.

Pour ce qui concerne l'hétérogénéité des résultats, particulièrement importante en Communauté française, il convient de rappeler que la population cible de l'enquête PISA est constituée des élèves âgés de 15 ans où qu'ils se trouvent dans leur scolarité. L'ampleur des disparités de performance peut en partie être expliquée par cette caractéristique de l'enquête et a partie liée avec la façon dont notre système éducatif se structure. Le recours important au redoublement est vraisemblablement un des éléments explicatifs à la fois de la faible performance moyenne de la Communauté française et de la forte dispersion des résultats.

On constate en effet que le nombre d'élèves soumis à l'enquête et "à l'heure", c'est-à-dire qui n'ont pas connu de redoublement, y est de 55 %, tandis qu'ils sont près de 73 % en Communauté flamande et 65 % en Communauté germanophone. La pratique du redoublement, plus répandue en Communauté française, où 9 % des élèves testés accusent un retard supérieur à un an, a donc indéniablement des répercussions sur les résultats à l'enquête.

 

Tableau 1 - Pourcentages d'élèves testés par année d'études fréquentée et par Communauté

Année d'études

Communauté française

Communauté flamande

Communauté germanophone

Première

0,4

0,2

0,3

Deuxième

8,7

2,5

3,6

Troisième

34,0

23,0

29,6

Quatrième

55,4

72,7

64,6

Cinquième

1,1

0,7

0,6

Sixième

0,1

-

-

Données manquantes

0,3

1,0

1,3

Source : Lafontaine (2003).

 

Il semble logique que le retard accumulé par une proportion non négligeable d'élèves dans leur scolarité se traduise par un niveau de compétences et de connaissances moins élevé. Il reste à savoir pourquoi le redoublement est autant utilisé chez nous en tant que pratique pédagogique. Des études de plus en plus nombreuses mettent en cause le caractère efficace de cette pratique dans le parcours scolaire des jeunes4. Un redoublement se traduit en effet souvent par un effet de stigmatisation de celui qui le subit et une perte de confiance en soi qui n'augurent pas de meilleurs résultats futurs.

D'autres caractéristiques structurelles de notre système d'enseignement jouent également un rôle dans les scores enregistrés en Communauté française, telles que la hiérarchisation entre filières d'enseignement (les filières technique et professionnelle apparaissant comme des relégations successives par rapport à la filière générale considérée comme la filière noble) ou encore les disparités de résultats entre écoles qui témoignent du regroupement des élèves en fonction de leur niveau de connaissances. L'enquête met en effet en évidence que certains établissements concentrent les élèves les plus compétents, tandis que d'autres regroupent les élèves le plus en difficulté d'apprentissage, ce phénomène étant accentué en milieu urbain. Au total, ces éléments structurels de notre système éducatif n'oeuvrent pas en faveur d'une réduction de l'hétérogénéité des performances, mais au contraire l'accentue.

On pourrait également penser que la proportion relativement élevée de jeunes issus de l'immigration pourrait jouer un rôle dans le fort degré d'hétérogénéité observé entre les performances des élèves. En effet, ils représentent 18 % de la population scolaire en Communauté française (qu'il s'agisse d'élèves nés en Belgique mais dont les deux parents sont d'origine non belge ou d'élèves nés à l'étranger), contre 12 % en Flandre et 9 % pour la moyenne des pays de l'OCDE. Il apparaît cependant que l'on ne peut pas imputer les piètres résultats de la Communauté française à cette situation. Il existe bien des différences entre les scores moyens des "natifs" et des élèves d'origine étrangère; toutefois, celles-ci disparaissent lorsque l'on raisonne toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire lorsque l'on neutralise les autres variables pouvant influencer la performance de l'élève, telles que son origine sociale, son âge, le niveau socio-économique moyen de l'établissement fréquenté, etc. Il en découle qu'un jeune d'origine immigrée, présentant une origine sociale équivalente, dans la même année d'études, bénéficiant du même niveau de ressources éducatives et culturelles à la maison, n'aura pas de moins bonnes performances que son homologue belge, contrairement à d'autres pays, tels que l'Allemagne ou la France. C'est un point positif à mettre au crédit de la Communauté française.

 

3. Influence de l'origine socio-économique dans la performance des élèves

Une troisième dimension de l'analyse relative à l'équité/inéquité du système éducatif consiste à prendre en considération les résultats obtenus par certains groupes ou catégories d'élèves. Un système sera en effet perçu comme plus équitable si les écarts entre groupes d'élèves partageant certaines caractéristiques (genre, retard scolaire, filière d'enseignement, origine nationale, langue parlée à la maison, origine sociale) y sont moins accentués que dans un autre. L'enquête PISA permet d'étudier toutes ces variables (Voir OCDE, 2001 et Lafontaine, 2003 pour plus de détails). Dans le cadre de cet article, nous avons choisi de développer plus particulièrement ce qui a trait à l'origine sociale, mesurée par un indice socio-économique de statut professionnel des parents de l'élève.

L'impact du statut socioprofessionnel des parents sur les performances de l'élève a été estimé en répartissant l'ensemble des élèves en quatre groupes égaux en nombre, ordonnés en fonction de la valeur de l'indice socio-économique. Pour chacun de ces groupes, on examine ensuite la performance moyenne dans la discipline considérée. L'ampleur de l'écart entre le premier et le quatrième groupes donne une mesure du caractère discriminatoire des systèmes éducatifs en fonction de l'origine socio-économique de l'élève.

En effectuant cette analyse, on constate tout d'abord que les différences de statut socio-économique influence les performances en lecture dans tous les pays testés. Plus l'élève appartient à un groupe socio-économiquement favorisé, plus grande est la probabilité qu'il ait une performance moyenne élevée. Ainsi, au niveau de l'OCDE, le score moyen en lecture des élèves du quart supérieur est de 545 sur l'échelle standardisée, alors que le score du quart inférieur est de 463, soit une différence de 82 points (graphique 3). La Finlande est le pays qui présente l'écart le plus faible entre les groupes d'élèves issus du quart des familles les moins favorisées, d'une part, et les plus privilégiées, d'autre part : il se chiffre à 53 points.

 

Graphique 3 - Influence de l'origine socio-économique sur la performance moyenne des élèves, en ce qui concerne la compréhension à la lecture

 

Source : Lafontaine (2003).

 

La Communauté française enregistre l'écart le plus important entre le groupe le plus privilégié (536 points en moyenne) et le groupe d'élèves issus des familles les moins favorisées (412 points en moyenne). L'écart s'élève donc à 124 points pour ce qui concerne la lecture. Il atteint des proportions semblables en mathématiques (118 points) et est même plus important encore en sciences (132 points). De tous les systèmes éducatifs des pays participant à PISA, c'est en Communauté française que l'incidence du statut socioprofessionnel des parents sur les performances des élèves se marque le plus. Un élève dont les parents exercent une profession peu élevée dans la hiérarchie des revenus court ainsi chez nous un risque plus important qu'ailleurs de figurer parmi les 25 % d'élèves les plus faibles en lecture. Ce risque est 2,8 fois plus élevé par rapport à un élève dont les parents exercent une profession prestigieuse. La valeur moyenne d'un tel risque dans les pays de l'OCDE est de 2. En Communauté flamande, il est de 2,4; en France de 2,2 et en Allemagne de 2,6.

Des études antérieures avaient déjà montré le poids du déterminisme social sur la réussite scolaire. L'enquête PISA confirme une nouvelle fois cette influence, en montrant toutefois que certains systèmes éducatifs parviennent à contenir mieux que d'autres l'ampleur des disparités liées à l'origine sociale. Certains systèmes semblent parvenir à compenser du moins en partie les inégalités de départ, tandis que d'autres semblent davantage impuissants dans ce domaine. La Communauté française, en dépit de mesures structurelles visant à compenser les inégalités sociales (discriminations positives) fait encore partie des pays où les systèmes éducatifs sont les moins égalitaires (Lafontaine, 2003) selon un critère d'origine socio-économique. C'est l'une des grandes conclusions de l'enquête PISA.

 

4. Améliorer l'équité du système éducatif ?

Le recours au redoublement en tant que mode de gestion des difficultés d'apprentissage est une pratique fréquente chez nous. Etant donné l'ampleur du phénomène, on peut avancer que cette pratique est un des éléments explicatifs des piètres résultats de la Communauté française à l'enquête PISA, tant en termes de performance moyenne (efficacité), qu'en termes de dispersion des résultats (équité). En outre, c'est une des différences importantes qui se marque avec le système scolaire flamand, les structures organisationnelles étant demeurées fort semblables depuis la communautarisation de l'enseignement en 1988.

Dans un système, tel qu'il existe en Belgique, où le libre de choix de l'école par les familles est de règle, combiné à un financement public, lié au nombre d'élèves, les établissements scolaires, comme les familles, développent des stratégies de manière, pour les uns, à attirer à eux les meilleurs élèves, c'est-à-dire ceux qui sont à la fois les plus doués sur le plan académique et les mieux dotés en matière de capital social et, pour les autres, à assurer à leurs enfants les meilleures ressources éducatives dans les établissements les plus réputés (Zachary et Vandenberghe, 2002). Dans un tel système, la pratique du redoublement remplit au moins deux rôles, outre le fait de permettre à l'élève qui le subit d'approfondir ses connaissances et de rattraper son retard. Du point de vue, des établissements, il contribue en effet à asseoir leur réputation d'écoles sélectives au programme d'études exigent. Du point de vue des parents, il permet aux plus informés d'entre eux de s'orienter dans le paysage éducatif et de choisir pour leurs enfants les meilleures options de formation dans les meilleurs établissements (ceux qui font de la sélection). La littérature scientifique montre en effet que les critères de choix des parents, du moins de ceux qui effectuent un choix, sont en priorité le statut social des élèves fréquentant l'école et le taux de réussite moyen de l'établissement.

En ce sens, le redoublement fait partie des instruments qui contribuent à une hiérarchisation de fait entre les établissements scolaires,organisant une ou des filières d'enseignement et des options dont les unes sont plus valorisées socialement que les autres. Il en résulte une ségrégation de la population scolaire entre des établissements dont la qualité d'enseignement n'est pas équivalente, ségrégation qui s'opère généralement aussi en fonction d'une variable socio-économique. Les résultats de l'enquête PISA ne démentent pas ce fait, observé à plusieurs reprises et particulièrement prégnant en Communauté française.

Il n'est pas simple de lutter contre ces phénomènes de hiérarchisation entre établissements et de ségrégation de la population scolaire, car ils résultent d'une alliance objective (ce qui ne signifie pas consciente) entre les familles et les acteurs de l'éducation et sont profondément ancrés dans les mentalités. D'un point de vue individuel, ils peuvent en outre apparaître comme rationnels, tant du point de vue des parents que des écoles. En effet, pour l'école et ses enseignants, il est plus agréable et facile d'enseigner à des classes homogènes en termes de niveau scolaire, d'autant plus si les élèves présentent de bonnes aptitudes à apprendre. Par ailleurs, les parents savent que, du point de vue individuel, leur enfant réussira mieux si ses camarades de classe sont d'un bon niveau et l'amène en quelque sorte à se dépasser. Il est donc rationnel de leur point de vue de choisir un établissement qui sélectionne les élèves les plus doués. Cependant, l'agrégation des choix individuels ne résultent pas nécessairement en un optimum social. En effet, la performance moyenne, à l'échelle du système éducatif dans son ensemble, semble meilleure, d'après la littérature scientifique, lorsque l'on favorise l'hétérogénéité des classes et des établissements, c'est-à-dire lorsque l'on maintient ensemble des élèves de niveaux académiques variés. C'est par exemple le cas en Finlande où l'enseignement est structuré autour d'un tronc commun (pas de filière, ni d'option) et où le redoublement est exceptionnel. Or les performances du système éducatif finlandais aux enquêtes internationales sont enviables, tant sur le plan de l'efficacité que de l'équité.

S'il est illusoire de vouloir transposer la structure organisationnelle de ce pays chez nous, les bons résultats de la Finlande incitent cependant à la réflexion sur notre propre système. Où agir en priorité ? Préférer des méthodes de remédiation au redoublement semble urgent. Ce choix n'est sans doute pas sans conséquence financière, mais le redoublement est également coûteux, tant pour le jeune qui voit s'altérer sa confiance en soi, que pour la société qui doit consacrer davantage de ressources à son éducation et encourir un plus grand risque de le voir abandonner ses études sans diplôme de l'enseignement secondaire supérieur. Or on connaît les difficultés croissantes pour s'insérer sur le marché du travail lorsque l'on est peu qualifié.

Revaloriser les filières techniques et professionnelles de façon à en faire de véritables choix d'études et non plus des filières de relégation constitue également une priorité, récemment prise en main d'ailleurs avec la redéfinition des profils de qualification et les financements supplémentaires injectés pour l'équipement en matériel pédagogique de ces écoles. Ces mesures seront-elles suffisantes pour effacer l'image négative de l'enseignement qualifiant aux yeux de l'opinion publique et pour y renforcer la qualité de l'enseignement ? Les prochaines enquêtes PISA, l'une réalisée en 2003 et la suivante prévue pour 2006, seront l'occasion de commencer à le vérifier.

Au-delà de ces mesures spécifiques, une réflexion globale est urgente, parce qu'un système d'enseignement à ce point inégalitaire et inéquitable est inacceptable. Il est inacceptable tant pour la Wallonie que pour Bruxelles. Les changements à mettre en oeuvre demanderont peut-être à être différenciés selon la Région de référence; ils réclameront inévitablement des moyens supplémentaires. Quoi qu'il en soit, il est dans l'intérêt de la Wallonie de veiller à ce que des mesures efficaces soient prises pour remédier au caractère inégalitaire de l'enseignement dispensés aux jeunes qui y vivent.

 

Bibliographie

Crahay M. (2000), L'école peut-elle être juste et efficace ?, Bruxelles, De Boeck Université.

Lafontaine D. (2003), Les compétences des jeunes de 15 ans en Communauté française en lecture, en mathématiques et en sciences. Résultats de l'enquête PISA 2000, Les Cahiers du Service de pédagogie expérimentale, n° 13-14, 230 p., Université de Liège (téléchargeable à l'adresse www.ulg.ac.be/pedaexpe/cahiers.html).

OCDE (2001), Connaissances et compétences : des atouts pour la vie. Premiers résultats de PISA 2000, Paris (http://www.pisa.oecd.org, adresse où l'on trouve également le rapport technique, Adams R. and Wu M. (Eds) (2002) PISA 2000 : Technical report, Paris, OCDE).

Zachary M.D. et Vandenberghe V. (2002), L'école et son environnement : pressions concurrentielles et stratégies de positionnement, in Maroy C. (Ed.), Les écoles de l'enseignement secondaire et leurs enseignants, Bruxelles, De Boeck Université.

  1. 1. Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves, enquête menée sous la responsabilité de l'OCDE.
  2. 2. La "littératie" englobe à la fois des capacités de lecture et d'écriture et se définit plus généralement comme un rapport de familiarité avec l'écrit tel qu'il permet à l'individu de développer ses connaissances par le canal de l'écrit. Le concept de "littératie" recouvre des aspects cognitifs (compétences, démarches, habiletés, stratégies, etc.) et non cognitifs (attitudes, motivation, intérêt envers l'écrit, etc.) (Lafontaine, 2003). Le cadre conceptuel pour l'évaluation de la "littératie" dans PISA est décrit dans la publication de l'OCDE.
  3. 3. Les Pays-Bas sont absents en raison d'un taux de réponse trop faible à l'enquête.
  4. 4.  Pour une synthèse de la littérature à ce sujet, voir Crahay (2000).