Edito : Une Wallonie inattendue et inouïe.

23 octobre, 2016

'Sur cette terre vit une race qui, depuis des siècles, pratique la liberté et l'indépendance, elle ne les perdra pas!'

(Fernand Dehousse au Congrès national wallon des 20 et 21octobre 1945)

Wij staan achter Wallonië

Manifestation anti-CETA à Amsterdam le 22/10/2016 : "Nous sommes derrière la Wallonie"


Le Parlement wallon, nous l'avons salué la semaine passée : EDITO : Le Parlement du peuple wallon. Tous ceux -pratiquement tous-à qui à qui j'ai souvent parlé de cette capacité de la Wallonie de dire NON à un grand traité international, m'ont toujours regardé d'un œil mi-sceptique, mi-apitoyé sur les illusions que je me serais faites depuis le début des années 90. Notamment tous les étudiants que j'ai eus à Mirwart, étudiants formidables mais parfois sceptiques (pas toujours), devant mes enthousiasmes. Cela a été le cas notamment au printemps 2005 lorsque j'avais évoqué, devant des collègues à Namur, la possibilité que le Parlement wallon rejette le TCE. A cette date, je me suis senti frère de Bernard Wesphael constamment traité de complice de l'extrême droite au Parlement de Wallonie parce que, à peu près seul, il rejetait le TCE comme le parti français xénophobe des Le Pen. Déjà alors cependant, du dehors, Jean-Maurice Dehousse haranguait une foule de 200 personnes et fustigeait José Happart s'en allant déclarant que ceux qui voulaient rejeter le TCE refusaient l'Europe, donc l'avenir. Dehousse rétorquait que le leader fouronnais aurait bien fait de se souvenir aussi, lui, de son passé de Wallon résistant. Puis lors des examens par le Parlement wallon du TSCG notamment, je me souviens être demeuré avec d'autres militants démocrates sous une pluie battante, deux heures durant, pour exiger que les représentants du peuple wallon refusent de nous lier à des traités qui fixent les programmes gouvernementaux (programmes d'austérité) pour 20 années, rendant inutiles au fond les élections. Peine perdue...

Lorsque le 27 avril dernier, l'assemblée politique de Namur rejeta clairement le CETA, à voir le manque évident d'enthousiasme avec lequel la RTBF prenait acte de la chose, je me suis dit que c'était à nouveau mal parti. Je me rendais compte aussi qu'au manque d'informations sur le CETA (qui est un sujet d'une très grande complexité), se joignait la large incrédulité existant dans la population wallonne à propos de la réelle capacité de la Wallonie à dire NON, même si les textes le permettent. Est-ce cette mentalité de la belgitude qui nous pousse à nous réjouir de n'être qu'un pays médiocre, un « petit » pays qui fait de la Wallonie une entité sentie encore plus lilliputienne ?  Peut-être faut-il poser des questions plus roboratives.

On devrait plutôt se poser la question de savoir pourquoi la Wallonie, à l'heure où j'écris, persiste et signe. Après tout, le Pays wallon n'est pas si « petit ». Il l'a montré dans la résistance sociale à travers ses grèves générales depuis 1886 s'égrenant ensuite à travers les millésimes que l'on étudie à l'étranger : 1893, grève générale pour le suffrage universel obtenu après la sanglante fusillade entre Jemappes et Mons le 17 octobre (puisque le lendemain la Chambre belge vote le principe du SU-en le tempérant par le vote plural et en lu limitant aux hommes) ; 1940-1944, une Résistance au nazisme sans doute proportionnellement plus ardente qu'en France même ; 1950, déferlement d'une grève générale avec menace de l'abandon de l'outil si le roi ne se retire pas et le projet de créer un gouvernement provisoire wallon qui ferait appel à l'armée française 1 ; 1960-1961 avec la grève la plus dure de toute notre histoire qui se transforme vite en une grève autonomiste wallonne ; 1991 avec la réunion pourtant anticonstitutionnelle du Parlement wallon pour contester la décision de stopper des ventes d'armes indispensables aux industries wallonneIl y a enfin, ce que nous vivons depuis le Sommet européen des 20 et 21 octobre 2016 (qui n'a nullement entamé la détermination wallonne), depuis la visite de la ministre canadienne Freeland du commerce extérieur à l'Elysette, le vendredi 21 octobre, depuis la rencontre entre Paul Magnette et le Président du Parlement européen Martin Schulz,  le 22 octobre 2016 au matin. Ce dimanche, on a appris aussi que Di Rupo (dans un rôle qui n'est pas d'habitude le sien), soutenait Paul Magnette. Nous ne savons pas ce que sera la suite.

Ce qui étonne le plus malgré tout, c'est le nombre de personnes persuadées que la Wallonie finira par se rallier au traité. De la difficulté de croire que la Wallonie possède bien le pouvoir de refuser la signature d'un traité, on passe donc maintenant à la difficulté de croire qu'il s'agirait d'autre chose qu'une musculation ou mieux d'une pirouette. Il faut bien donc penser que la Wallonie n'est toujours pas crédible. Il est toujours intéressant de comparer les choses. Le Québec pays certes plus étendu que la Wallonie, mais deux fois plus peuplé, apparaît aux yeux de beaucoup comme une véritable nation. On sait aussi à quel point la Flandre a pu faire peur aux Wallons attachés à la Belgique en faisant penser qu'elle pouvait réellement revendiquer et obtenir son indépendance. On continue cependant à avoir toutes les peines du monde à voir que la Wallonie existe, même dans le cadre limité d'une identité régionale, alors qu'elle est en train de s'imposer comme un véritable acteur sur le plan international. Peut-être est-il bon que cela prenne du temps, les œuvres humaines qui ont mis long temps à s'élaborer sont celles sans doute promises à l'avenir le plus solide. Thierry Haumont a écrit non sans justesse que la grève de 1960-1961 a porté la Wallonie plus loin qu'elle n'avait jamais été. Ici il y a une  conjonction inouïe.  Entre d'une part, les syndicats les plus divers idéologiquement (socialistes, chrétiens, libéraux) et socialement (agriculteurs, cadres, employés, indépendants, PME), de même que les mutuelles, les associations de consommateurs, de lutte contre la pauvreté, d'aide au tiers-monde, les mouvements chrétiens, de défense de l'environnement, et, d'autre part, le Gouvernement wallon, les partis qui le soutiennent mais aussi deux des trois partis d'opposition, les deux tiers du Parlement wallon.

Il y a là quelque chose d'inattendu et d'inouï. La Wallonie vient de faire un immense pas en avant vers son indépendance pure et simple.

  1. 1. Le gouvernement provisoire wallon de 1950