Critique : Histoire de la Pensée au Pays de Liège Tome III (p. 17-322)

10 août, 2021

On passe à la Renaissance de l'esprit de système à la pensée positive même si le pouvoir politique, entre autres, de plus en plus intrusif dans les universités, y impose la Sommed e Thomas d'Aquin (qui participe plutôt de la spéculation), « pour pallier les diversions propres aux autonomies humanistes », mais à partir d'une « synthèse systématique obsolè te » selon Bernard Forthomme (p.22) (que nous notons BF à partir d'ici, non sans admiration pour ce gigantesque travail).

Artemisia Gentileschi Suzanne et les deux vieillards

Artemisia Gentileschi Suzanne et les deux vieillards (1610), thème d'une pièce néolatine jouée dans les collèges jésuites à Liège

Changement de paradigme

On jurerait (en raison du « renouveau » téléguidé par Léon XIII à la fin du 19
esiècle), que les lignes suivantes valent encore pour le 20e siècle avant Vatican II : « C'est qu'au regard de l'ancien paradigme, la doctrine enseignée aux clercs et le credo catéchétique pour les simples priment le point de vue singulier des différentes rédactions des Ecritures, l'évolution de leurs interprétations au cours des temps, ainsi que le vecteur personnel de la connaissance de foi. » (p.22). Le régime intellectuel de l'Église s'est peu à peu ossifié.

Louvain est encore, sur une grande partie du 16e siècle, jusqu'en 1 559, dans le territoire du diocèse de Liège. Son université avait, elle, une tradition  augustinienne. Ce n'est pas un hasard si Joseph de Bay (né à Ath), dit « Baïus » (1513-1589), propose une théologie à l'encontre des orientations voulues par les autorités. Pour Baïus avant la chute, l'humanité vit dans «  la justice originelle » qui appelle « la béatitude éternelle » (p.32), mais après la chute nous en sommes privés parce que « nous n'avons plus le pouvoir  d'accomplir les commandements », pouvoir qui « nous est rendu par  la grâce : ce qui nous donnerait le droit de réclamer la récompense pour nos œuvres » (p.33). De Lubac n'aime pas ce juridisme sous-jacent ni l'extrincésisme de l'idée de surnature, estimant qu'il y a un désir naturel du surnaturel : « l'homme aspire toujours à se dépasser ». Cette importance de la grâce et la critique de la philosophie (usage excessif des syllogismes et des raffinements logiques, abus des transcendantaux), va influencer Jansénius dans son Augustinus paru en 1640 qui veut en revenir au primat de la volonté, « celle manifestée en un homme singulier » (p.35). Républicains et socialistes mettront en avant le rôle « de l'action sociale primant les volontés individuelles », mais les jansénistes mettront comme eux en cause l'absolutisme royal.

assacre des Indiens par les Espagnols (gravure de Théodore de Bry)

René-François de Sluse (1622-1685), dont nous parlerons dans la 2e partie de ce compte rendu, moine cistercien, mathématicien, correspondant de Pascal et Huyghens, sympathisant du jansénisme comme son frère cardinal est emblématique de cette Liège de la pensée aux  XVIe et XVIIe siècles  passionnée des sciences, des arts et lettres et des débats sur la Foi.

François Titelmans (Hasselt 1502-1537) exprime le désir d'une forme commune à tous les discours inspirés par Aristote. Il rédige toute son œuvre en une dizaine d'années. Erasme le voit d'abord en adversaire puis se rend compte qu'il ne l'est pas systématiquement et est en un sens lui-même érasmien (p. 41), du fait de sa pensée « positive ».  Il estime en effet que la langue dans laquelle Dieu s'adresse aux hommes est de toute première importance. Il n'aime cependant pas que la Vulgate de saint Jérôme soit mise en cause, ce en quoi Richard Simon, au siècle suivant, lui donnera raison même s'il pense aussi qu'il « met souvent les préjugés de sa théologie à la place des paroles du texte sacré » (cité p. 43), ce qui fait songer aux débats entre Loisy et Blondel, les deux pouvant partager ce même jugement comme aussi se séparer à ce propos. Méfiant à l'égard de la rhétorique charnelle, moins à l'égard de la rhétorique classique d'Erasme, il se préoccupe cependant d'une rhétorique plus douce et plus chaste, chaste comme l'eau du
Cantique des créatures. Il veut aussi que la parole soit transmise humblement en fidélité à l'humilité en général, mais aussi l'humilité de Dieu. Il est l'auteur du Compendium naturalis philosophiae, le manuel de philosophie le plus vendu au 16e siècle. On peut le comprendre à cette époque de controverses avec les protestants. Titelmans insiste « sur la précellence de la volonté libre qui n'apparaît pas, en tant que telle, dans la pensée aristotélicienne ». Le succès du livre tient à son effort de synthèse entre physique, éthique et spiritualité, aspiration typique de la première modernité « cherchant la forme similaire au discours de la narration de la nature et au discours de l'âme (de son aspect végétatif à son aspect volontaire), au verbum cordis, comme à la volonté libre (humaine) tournée vers la libre volonté (conçue comme divine), autant que vers l'expression splendide de la vérité divine. » (49). Lope de Vega cite Titelmans dans ses romans, et le Cursus Conimbricensus des Jésuites contient de très nombreux passages parallèles (commentaires d'Aristote par un important collectif de  jésuites professeurs portugais), qui sera lui-même traduit en chinois.

Jardins

UN jardin Renaissance au château de Chenincea le long du Cher

Un jardin Renaissance au château de Chénonceau le long du Cher

La nature devient « l'horizon sur lequel découpe le sujet moderne mis au devant de la scène » (p. 55). L'homme doit se conformer à la nature et la cultiver comme un jardin, jardin dessiné non à la campagne mais proche des villes. Ainsi, le jardin de Charles de Langhe né à Berquin en 1521, secrétaire de la délégation des Pays-Bas au concile de Trente. Il envoie ses rapports de Liège et y meurt en 1573. Il a deux jardins dans la ville dont l'un sur les flancs du Publémont, l'autre en bordure de la Meuse : «  Meuse comme Muse. La présence voulue de l'eau abondante , de son écoulement sonore est aussi une manière souple de stabiliser ou de défendre l'homme au sein des flux » (p. 56). Bernard Forthomme reproduit en partie  le dialogue qu'écrivit Juste Lipse après la visite qu'il rendit à ce jardin près de la Meuse, lorsqu'il fuit  la guerre civile dans les Pays-Bas espagnols. Citons ce dernier passage de ces dialogues : « Libre de tout souci, un seul excepté, celui de tenir la pensée assujettie au joug de la droite raison et de la divinité (recte rationi ac Deo), et de soumettre tout le reste à ma propre raison, afin... que je puisse quitter la vie, non comme un banni (ejectus), mais comme un envoyé (emissus). Voilà  les rêves (imaginatio ; rumination), que je fais dans mes jardins mon cher Lipse. ». BF ajoute : « On surprend ici comme dans tout le passage consacré au jardin, l'hésitation philosophique entre le jardin raisonneur à la manière de Cicéron et le jardin des rêveries solitaires d'Horace et bientôt de Rousseau » (p. 64). Langhe décrit alors Liège , « ce petit coin du monde qu'enferme ces montagnes et que ces fleuves arrosent », affirmant son cosmopolitisme. Comme c'est Lipse qui écrit ces paroles, il en tire un bref traité de droit international où il s'affirme par exemple contre l'emprise de l'Espagne sur l'Amérique latine. Langius a relevé les variantes dans les transmissions des œuvres de Plaute, édité certains ouvrages de Cicéron, écrit des poèmes dont la Prosopopée de Liège : « La plupart des villes sont estimées pour le champ de blé, certaines sont connues pour leurs vignobles. Corinthe, baignée par deux mers est réputée pour son bronze... Les unes méritent honneur et gloire par leur situation et leur aspect, d'autres par leurs murailles, d' autres encore par leurs temples grandioses. A beaucoup d'entre elles, un fleuve fameux a donné un nom honorable ; des bateaux à voile y passent et repassent [...] chacune a sa valeur [...] arrache pour ainsi dire des fragments aux étoiles elles-mêmes. Mais moi, je jouis abondamment de tout en même temps... » Il évoque alors le charbon, les vergers, le fleuve qui permet d'échanger les biens, la région liégeoise « toute entière devant mes yeux, dans un si beau théâtre. Puis les sciences : théologie, morale, droit, médecine, astronomie, les lettres avec l'épopée, l'histoire, la poésie, la comédie, la tragédie, la rhétorique, le chant choral, la musique, l'astrologie... » Liège parle : « Veux-tu quelqu'un, veux-tu celui qui révèle les pensées de Dieu et les mystères du ciel, qui enseigne ce qui est permis et ne l'est pas ? ... »

Lambert Lombard

Autoportrait de Lambert Lombard

Autoportrait de Lambert Lombard

Dominique Lampson, élève de Lambert Lombard, pense que la philosophie décèle en l'humain un microcosme où sont contenus tous les êtres de sorte que dessin et sculpture « ont pour objet de composer l'être humain parce que l'apparence extérieure de l'homme embrasse soit par ses contours , soit par ses couleurs, toutes les beautés de ce qui est visible. » Lombard « brise » (le mot est de BF), la présentation de l'histoire en trois épisodes : Antiquité magnifique, Moyen-Âge ténébreux et Renaissance éclatante. J'avais eu droit à cette présentation  en humanités d'une « redécouverte » des Grecs et des Romains après la « nuit » médiévale. Alors que tout ce livre, depuis le tome I, montre bien qu'il n'en est rien et que ce sont les abbayes puis, plus tard, les universités qui ont sauvé le meilleur de la pensée grecque et latine et, plus, l'ont entretenue, développée, dépassée. Lombard trouve en l'Antiquité le modèle des modèles, mais « même s'il y trouve un type invariable, il n'hésite pas à trouver des analogies avec la période romane » (p. 73) Le peintre doit pénétrer l'objet qu'il peint selon la morale du jouet dont parle Baudelaire (que les enfants « déconstruisent » : ce qui est en partie un euphémisme, en partie pas). Les historiens de l'art prennent au sérieux l'idée que les peintres médiévaux auraient conservé les règles de l'art jusqu'à la première moitié du deuxième millénaire. Il écrit en italien à Vasari : «  En ce qui concerne le style (maniera), me satisfont absolument plus des ouvrages qui proviennent de deux, trois ou quatre cents ans [soit vers 1150] bien que l'usage (usenza) et non une bonne et véritable imitation de la nature (bona et vera imitatio naturale), les ait produits. » (p. 77) Malgré ses liens avec l'Italie, Lombard ne s'aligne pas sur le toscanisme ni le néerlandisme : «  Il va sa propre voie. Mais il y a bien italianisme d'un côté et illustration d'une manière propre à la patrie : celle-ci étant identifiée par D. Lampson au Principatus Leodiensis tout en se référant à l'art enrichi par le Lombard apud Belgas, entendons les Pays-Bas espagnols, y compris les Wallons » (80) mais qui, culturellement et politiquement, sont encore distincts.

On connaît  le célèbre autoportrait de Lambert Lombard qui est peut-être à l'origine du personnage d'Haddock dans Tintin, mais ce portrait,  au verso du premier feuillet de la Vita Lombardi écrite par son élève Lampson, est selon BF ce en quoi « sont les paysages et toute les choses. Le sôma est capital non seulement pour représenter Lombard, mais en même temps l'image de tout le visible ; il focalise tout à partir d'un même corps ; c'est une sorte d'aphorisme qui résume tout le reste (...) la forme du médaillon gravé qui configure le portrait de Lombard renvoie d'ailleurs au miroir où tout se » reflète... » (p. 81).

Lampson cite Pline (ce théoricien antique de la peinture) qui insiste sur le fait que le milieu des objets est un métier en lequel beaucoup ont réussi, « au lieu que faire les extrémités des corps, bien terminer le contour de la peinture finissante, se trouve rarement exécuté avec succès, car l'extrémité doit tourner et finir de façon à promettre autre chose derrière elle et à faire voir même ce qu'elle cache » (cit. p. 86). Merleau-Ponty le redira dans L'Oeil et L'Esprit. Il  y a aussi une influence des belles lettres sur la peinture de l'artiste liégeois, Lampson mélange les genres. Parlant de la peinture, il dit que l'on doit y trouver « quelque vive agilité, ou quelque impétuosité, ou du moins quelque soulèvement passionné et prompt. Ou, au contraire, de la langueur, de la torpeur de la mort (...) n'importe quelles passions de l'âme évidente allant jusqu'à posséder presque la force de la voix même et du langage. » (p. 89). BF commente : « Cette disposition des figures ou des tropes apparaît ici non seulement à propos  de l'homme, mais de la nature, ce qui donne au naturel recherché par Lombard une compréhension plus large (car il s'étend de la nudité charnelle au flou de la chevelure), mais correspond sans doute au microcosme humain miroir de la nature, les cheveux étant insensiblement rapprochés de la chevelure des prairies, des blés. » (p. 89) Lampson met aussi en cause le maniérisme en art qu'il définit comme de la superstition au sens romain (en gros la volonté d'en faire trop), vouloir plaire à ceux qui commandent les peintures. La comparaison de la peinture avec la rhétorique revient plusieurs fois. Lombard voulait aussi faire de la beauté un transcendantal (comme l'être, l'un et le bien : « ens, unum et bonum convertuntur »), voulant faire converger beau, bon et vrai comme esthétique, éthique et logique, soit « la beauté, l'efficacité et la vérité des choses mêmes. » (p.94) Sa volonté d'être un homme de grande culture est aussi très caractéristique de la Renaissance humaniste.

Dans « La maison européenne de Torrentius » (comme BF intitule ce passage), cette personne, originaire du Limbourg, qui occupera de hautes fonctions dans le diocèse et la Principauté, accueille dans sa maison de Liège Ortelius et Vivianus auteurs du Theatrum orbis terrarum et ils l'intègrent à leur géographie dans Itinerarium. S'adressant à Mercator , ils font l'éloge de Liège avec ses bibliothèques ses peintres. Ils en arrivent aussi à l'éloge de la maison de Torrentius, où l'on reconnaît « la main si heureuse, au point de vue architectural , de Lambert Lombard jadis peintre et philosophe » (p. 98). Torrentius est inquiet devant la division de l'Europe face au monde ottoman bien que cette Europe, selon lui, est quasiment unie sous les Habsbourgs, certes à l'exception de la France. Cet homme est un grand collectionneur de monnaies notamment de l'Antiquité à une époque où les échanges échappent encore à l'économie monétaire mais où les États interdisent de plus en plus de payer en nature. Cet usage de la monnaie facilite les voyages. Torrentius a accéléré la décision de créer à Liège un Grand séminaire, chose exigée par le Concile de Trente.

L'articulation dramatique de la réalité

Theatrum orbis terrarum

Theatrum orbis terrarum

Dans le chapitre XXI, B.F. aborde ce qu'il appelle (dans le titre) « L'articulation dramatique de la réalité » : des pièces jouées en latin dans les écoles, collèges, universités, pièces néolatines jouées aussi « dans les hôtels de ville ou les places publiques » : « Montrer que le monde, le corps et l'esprit (comprenant l'action morale et politique), voilà l'anatomie théâtrale. «  (p. 114). BF parcourt les œuvres de Remacle d'Ardenne et son « choix de vie » : aventures amoureuses, place de « l'or » et de la « sagesse » , « la vie comme jeu et enjeu chez Placentius » qui écrit des pièces en tautogrammes [tous les mots commencent par une même lettre], ou avec des mots qui en évitent une comme le e dans La Disparition de Pérec. On est un peu décontenancé devant ces jeux : « Le tautogramme ou le lipogramme exercent aussi une fonction rhétorique : présenter ou absenter. Le langage n'est pas là une expression psychologique, mais il manifeste une puissance de présence ou d'absence, de réalisation ou de possibilisation. En l'occurrence, la récurrence du p  [dans Pugna porcorumde Placentius tous les mots commencent par p], marque un rythme, une répétition, comme dans les anaphores liturgiques où se présentifient l'invisible » (p. 120-121).

Placentius écrit une pièce de théâtre Susanna inspirée à la fois du chapitre 13 du livre de Daniel, de Plaute et de Térence.  La pièce est en 5 actes. Le premier a des aspects comiques. Le reste du spectacle met l'accent comme la Bible sur la vertu et le courage de Suzanne (ce qui renvoie à la force de Yaël dans un tableau de Lambert Lombard). Jean Guyot de Châtelet (1520-1588), outre son œuvre musicale, est l'auteur d'une pièce néolatine au titre très long où il fait « un éloge de la science et une critique du laisser-aller de l'ignorance »  et dont il résume ainsi l'argumentum dans ce titre : «  Minerve ou Pallas, qui a eu pitié de la condition humaine (conditionnem humanam), s'applique à arracher les hommes aux ténèbres dont ils sont entourés et cela à l'aide des arts libéraux [grammaire, rhétorique, dialectique, arithmétique, musique géométrie, astronomie]. Elle s'efforce de replacer l'humain  dans la connaissance du créateur. » BF commente : « La condition humaine doit donc se comprendre, chose trop oubliée de nos jours, en lien étroit avec la création de l'homme en connaissance de cause. Dans la condition de l'homme résonne encore un vouloir premier, une liberté et non la fatalité ! »  (p. 127). Guyot cite autant les anciens que des contemporains comme Jean Tinctoris de Nivelles ou Erasme. Grégoire de Hollogne (1531-1594), compose trois tragédies avec pour héros dans la première, Catherine d'Alexandrie, dans la seconde le diacre Laurent et dans la troisième Saint Lambert, soit une Grecque, une Romaine et une Liégeoise. On sent en filigrane dans ces pièces la volonté de lutter contre les protestants dont l'expansion est attribuée aux défauts du clergé : le manque de chasteté (Lambert martyre pour avoir dénoncé l'adultère), le diacre Laurent chargé de protéger les ressources des pauvres de Rome (contre les bénéficiaires souvent absents des lieux de leur charge), Catherine femme philosophe et savante, repoussant les assauts amoureux de l'Empereur Maxence (contre le clergé mal instruit). Pour BF l'existence d'une pièce comme celle-là « tend à conforter la thèse selon laquelle l'exaltation de la continence et de la virginité ne vient pas d'abord du christianisme mais de la philosophie antique », ce que l'on retrouve aussi chez Foucault cité par Remi Brague. Pour BF, « Le vecteur humaniste reste puissant : philosophie, éloquence, poésie, philologie, tout doit attirer vers dieu. «  (p. 134). Des collèges de jésuites en Allemagne  (Trèves, Munich, Ingolstadt), possédaient des copies de ces pièces. André Lefèvre consacre un spectacle au héros de la Bible à qui il donne le statut de « juge », possible polémique avec un luthérien allemand qui avait écrit une pièce autour du même personnage  biblique. BF traduit le titre en entier d'une autre de ses pièces néolatines : « L'Évangélique fluctuant , une tragédie dans laquelle l'exemple d'un homme erratique est montré, où la vanité des hérésies et les fraudes des hérétiques sont racontées et où il est montré aussi clairement qu'il n'y a pas d'espérance de salut éternel laissé à celui qui ne rejoint pas la congrégation des catholiques auxquels il apparient de pouvoir référer l'origine de leur doctrine aux Apôtres et hommes apostoliques dans une série continue. » (p. 137-138) Ces polémiques avec les protestants apparaissent nombreuses dans Anthologie de la littérature wallonne de Maurice Piron. Ce qui entraîne la remarque selon laquelle les premiers écrits de la littérature wallonne n'ont de populaire que leur langue.

 

Massacre des Indiens par les Espagnols (gravure de Théodore de Bry)

Massacre des Indiens par les Espagnols (gravure de Théodore de Bry)

Il est question encore de Libert Houthem mort à Prague en juin 1584. Il est l'auteur de Theatrum, humanae vitae , comoedia nova, à l'intrigue complexe mettant en scène des personnages-allégories sujets à des dérives et qui finalement sont sauvés par « Agapetus ». de Gedeon « relecture typologique des événements contemporains et non plus simplement allégorique »  (p. 145). Une autre pièce s'inspire de la mythologie et de ce personnage antique qui fait arracher la langue de sa belle-sœur après son viol, elle se venge de la chose en lui servant en guise d'horrible revanche le corps de son fils.  Il faut y voir le thème contemporain de l'anthropophagie  (présent chez Montaigne) aussi, avec en sous-main la critique protestante sur l'eucharistie telle que la croient les catholiques, l'idée du refus de l'intervalle (entre le désir et sa satisfaction). Un certain George Maigret exploite lui le thème des larmes dans Les larmes et regrets du très chrestien Héraclite, Recueillies et dédiées à son Altese de Liège, par Fr Georges Maigret Bouillonois. Houthem polémique également avec les calvinistes en français, mais il le fait en reconnaissant aussi les torts des catholiques.  Avec Hannard Gamerius Mosaeus, on voit le passage d'un « théâtre antiquisant et scripturaire à un théâtre franchement polémique au plan doctrinal et politique »( (p. 151). Il s'inspire d'un récollet de Louvain qui construit des tragédies qui sont l'antithèse de la tragédie grecque, étant des drames, soit comme le dit bien BF, « une action sans nécessité » (p. 152), notamment Euripus que celui-ci dédicace au Prince-Evêque de Liège. Le théâtre pratiqué dans les collèges jésuites prendra comme modèle cet Euripus« de Cambrai à Munich et de Tolède à Vienne » et Gamerius écrit sur le modèle d'EuripusPornius qui sera jouée à Landshut et Amsterdam. On voit l'importance de la diffusion de ces spectacles.  BF insiste aussi sur la façon dont Gamerius poétise les controverses avec les protestants, ce qui suppose une élévation du débat sur le fond qu'on retrouve dans les Tragiques d'Aggripa d'Aubigné,  qui appartient lui-même à une période ultérieure. Honoré Bartholomée, né à Liège, devenu chanoine prémontré de l'abbaye de Floreffe, chassé de là par les calvinistes, polémique avec eux après s'être réfugié à Liège dont il chante la liberté procédant des élections par la communauté des chanoines. Ce long chapitre difficile à lire en raison de la masse d'informations se recoupant à l'infini se termine par la présentation des gravures de Théodore de Bry (1528-1598), fameux graveur et éditeurs de livres illustrés. Il met en scène l'anthropophagie des Indiens et les exactions des catholiques espagnols en Amérique. Avec de nouveau d'intéressantes réflexions sur la forme d'anthropophagie qu'est l'eucharistie selon les protestants. BF cite un catholique estimant que les Espagnols ont surtout mangé l'âme des Indiens.

Henri Du Four

Henri Du Four mort à Pavie en 1608 est né à Liège (à laquelle il demeure fidèle toute sa vie), fait toute sa carrière dans la ville de cette Lombardie alors sous domination espagnole. Il y est membre de l'Accademia degli intenti. Les Académies jouent un rôle parallèle aux universités voire concurrent. Son premier ouvrage est un ouvrage de rhétorique. En vue de plusieurs choses qui se distribuent en genre démonstratif, épidictique ou panégyrique, délibératif et judiciaire. Deux essais de lui sont publiés de 1592 à 1718 avec le  Dictionnario d'Ambroise Calepin (non propre qui deviendra un no commun), et le Vocabularia vulgare et latino de Bevilacqua. L'un donne une série d'étymologies ou commentaires des mots et leurs sens, largement inspirés d'Erasme. Dans l'autre essai, il «  reconnaît à l'enseignement universitaire le rôle de promouvoir  la concorde sociale et de soutenir le pouvoir politique comme le bon gouvernement » Pour Du Four, « L'université, c'est ce qui donne le vrai centre multi-ethnique d'un État. C'est aussi une manière de comprendre l'hégémonie espagnole : non pas d'abord  comme une centralité militaire ou économique, mais intellectuelle qui, de surcroît,  se situe au même plan que le pouvoir souverain du moment. Derrière le flot phraséologique et laudateur  du pouvoir en place, une philosophie politique se fait jour [...] D'où la référence explicite aux institutions carolingiennes chargées d'opérer un paradigme critique et un contrepoids.  Ce qui de la part d'un Liégeois n'est pas destiné uniquement à réactiver une légende fondatrice de l'Université de Pavie. Non seulement  à cause des fondements du Diocèse et de la Principauté de Liège, de l'alliance intime du pouvoir ecclésiastique et du pouvoir civil, inenvisageable  sans l'appui du pouvoir carolingien et celui de ses héritiers, mais à cause du présent : l'absence d'Université à Liège. Du Four trouve à Pavie ce qui manque cruellement à Liège : un vrai centre intellectuel décentré, multi-ethnique. Si l'État liégeois n'est plus un centre, et s'il est au fond, en ce temps-là, placé quasi sous tutelle hispanique, c'est bien parce qu'il n'a pas de centre d'où devrait découler l'art de gouverner. » (p. 174)

Dans De simulacro reipublicae, il est question des « hiéroglyphes, métaphores, synonymes, proverbes, symboles, emblèmes, allégories » pour parler des sciences, de l'agriculture de la théologie, de la politique, de la médecine, de l'accord du souverain avec son peuple (senatus populusque), de l'art de la guerre...

Du théâtre du monde au spectacle de la nature et des sciences

« Il s'agit de plus en plus du spectacle de la nature dont les forces invisibles sont mises en scène ou rendues visibles par les sciences et les techniques (automates, machines), spectacle, non plus seulement d'une nature achevée mais d'une nature perfectionnée par elles au point que les sciences et les techniques elles-mêmes deviennent objets de spectacles comme dans un Opéra et bientôt le pré-cinéma. » (186) Cela peut participer aussi d'une urgence pour les savants de vulgariser leurs recherches qui ne se peuvent sans les ressources étatiques et donc  la solidarité d'une population. BF pose aussi la question de l'alchimie jugée une fausse science mais étrangement la différenciation s'est opérée au nom « d'une chimie mécanisée sans spécificité » dans le cadre de la physique mécaniste cartésienne (p. 189), optique qui sera ensuite rejetée. Il est question ensuite de médecins liégeois dont Gilbert Fusch actif particulièrement dans une épidémie de suette anglaise, épidémie virulente d'une maladie qui pouvait tuer en deux jours, maladie qui a complètement disparu. D'où chez ce médecin le thème de l'homme-bulle associé à ce jeu des enfants qu'on retrouve chez Froissart vers 1369, aux vitraux des églises. Fusch écrit un manuel de gérontologie, un autre sur les vertus curatives des eaux thermales et minérales qui occupera aussi un autre médecin Philippe Gherinx de même que De Heer qui s' inspire du grec krèné pour désigner en latin ( puis en français), la source de Spa : Spadacrene. De Heer utilise les eaux comme boissons, remèdes, curetage de la vessie et de la matrice. Cela participe de la réputation européenne de Spa, de son développement comme cure thermale de divertissement  dès le 16e siècle puis comme séjour touristique au 18e siècle. Il se méfie cependant d'une façon charlatanesque de vanter les qualités des eaux de Spa. Autre médecin, Henri Reneri, proche de Descartes, s'adonne plutôt aux mathématiques et construit des instruments coûteux d'observation en chimie, physique, botanique et mécanique. Suit tout un long développement où BF analyse le développement des mathématiques concurremment  avec les langues anciennes, l'astronomie mais aussi l'astrologie encore considérée comme une science.  L'incertitude de l'avenir chez les puissants (encore comme aujourd'hui), les pousse « plus que jamais à se forger un destin par le truchement de l'astrologie divinatrice » (p. 201). D'où la tension entre l'aspiration à un ordre « cosmo-politique » (p. 202) rassurant les élites et la liberté. Le Ratio studiorumdes jésuites met en avant les mathématiques : « Les mathématiques apprennent aux poètes le lever et le coucher des astre, aux historiens la situation et la distances des divers lieux ; aux philosophes des exemples de démonstrations solides ; aux politiques des exemples de démonstration solides ; aux politiques des méthodes vraiment admirables pour conduire les affaires dans le privé et à la guerre, aux physiciens les modes et les diversités des mouvements célestes, de la lumière, des couleurs, des corps diaphanes, des sons ; ... aux juristes et aux canonistes le comput, sans parler  des services rendus par le travail des mathématiciens à l'Erat, à la médecine, à la navigation et à l'agriculture. » (p. 205). A cela s'ajoute la montée en importance des arts mécaniques vu le développement des aspects matériels de le recherche savante qui assure le prestige des artisans les plus habiles.

Jean Chapeaville

Liège au XVIIe siècle

Liège au XVIIe siècle

Le chapitre consacré à Jean Chapeaville 1551-1617 est intitulé « Reconstruire l'histoire d'un diocèse et d'un État ». Lui-même pensait qu'il fallait libérer les sources anciennes de cet État et diocèse, ce qui fait penser à Proust face aux aubépines quand il entend, dit BF, «  la supplication  des êtes éphémères qui ne veulent pas tomber dans l'oubli et réclament, les bras tendus, l'hospitalité du passant, celle du romancier autant que le recueil du poète. » (214) Il y voit une force à même de vaincre les hérésies (puisque c'est l'histoire d'évêques). Il y trouve aussi du plaisir et la consolation de sa vieillesse. Chapeaville a conduit une instruction judiciaire contre un moine Del Vaulx accusé de sorcellerie à une époque où les savants tenaient la chose pour fondée qui fut le produit d'une « inquiétude novelle face aux force erratiques » mais qui inaugure aussi « une rationalisation accrue des rapports sociaux et politiques » (p. 223). Chapeaville s'est opposé dans son histoire de Liège à Hubert Thomas qui faisait remonter Liège à Ambiorix voire à Homère, selon le tropisme courant de trouver des origines grecques et romaines aux villes ou pays  de l'Occident : chez Chapeaville « dans sa conception de l'histoire basée sur des documents  dont la valeur est certifiée par son sens critique, les évêques servent  de marqueurs chronologiques et factuels plus assurés que les gloires imaginées des ancêtres. Avant l'époque d'Hubert, Liège n'était pas une ville, mais un vicusobscur, de basse naissance . »  (p. 230). Non sans raison, BF écrit que Chapeaville démythise déjà, bien avant Darwin et Freud » mais, curieusement  ajoute à propos de ces derniers « facteurs d'autres fables d'allure « scientifique » » (p. 230) [la horde primitive pour Freud, la forme extrême et héréditaire des caractères acquis chez Darwin].

Libert Froidmont

Libert Froidmont

Libert Froidmont

Libert Froidmont (1567-1653), est sans doute l'un des penseurs liégeois les plus intéressants. Plutôt aristotélicien, c'est lui qui se charge pourtant de l'édition de l'Augustinus. Il publie aussi de la littérature scientifique par exemple sur les météorites, ouvrage qui le fait connaître de Descartes qui lui enverra dix ans plus tard ses Météores. C'est ainsi que la pensée moderne va entrer en contact avec la philosophie classique. Il sera consulté aussi par Leibniz qui lit les modernes non pour détruire les anciens mais les enrichir. BF le cite : « Peut-être aucun siècle n'a-t-il autant que le nôtre méprisé l'antiquité et poursuivi la nouveauté. Dans les sciences sacrées comme dans les sciences profanes » (p. 238). Enthousiaste au départ pour Copernic Libert est avancé aussi avec son collègue louvaniste Thomas Fienus avec De cometa, car il juge que les comètes ne sont pas un phénomène atmosphérique mais astronomique ruinant ainsi l'image du ciel immuable d'Aristote. Hors de l'université, les esprits sont plus ouverts à Liège aux nouveautés. Galilée utilise le toscan comme Descartes le français pour échapper à l'emprise cléricale. Froidmont pense que les planètes tournent autour du soleil sauf la terre. Galilée le considère d'ailleurs certes comme un adversaire mais de valeur. Froidmont doute que l'accès de soi à soi soit aussi simple que Descartes ne le suppose dans le cogito. Ce que nous dirions aussi aujourd'hui. Mais d'un autre côté, c'est de ceci qu'est née la science moderne : «  Plus aucune trace d'animisme ne vient troubler une modélisation du mouvement inertiel (distinct du mouvement comme acte). » (p. 245) Pour Froidmont, la vie n'est pas qu'une matière subtile, même chez les animaux qui, pour lui, ont une âme.

Froidmont est-il un adversaire ou un allié de Galilée ? Il a d'abord approuvé Copernic puis est revenu sur cette adhésion et pas pour de mauvaises raisons, estime BF. Les partisans du mouvement de la terre avançant parfois des raisons peu sérieuses, comme de considérer qu'il est honorable pour la terre de se mouvoir, sur quoi BF rebondit pour mettre en cause l'idée freudienne d'une blessure narcissique de l'humanité à cause de l'héliocentrisme. Froidmont partage le scepticisme augustinien et janséniste sur  l'intervention de Dieu sur les phénomènes naturels. Il discute avec Descartes (comme il l'a fait aussi avec Galilée), sur ses Météores : il assimile le mécanisme universel de la res extensachez Descartes à un mécanisme universel qui lui semble peu scientifique, comme l'idée de l'homme-machine, ou d'une sensibilité propre aux animaux qui ont eux aussi une âme. Toutes ces discussions présentent l'intérêt de comprendre à quel point les vérités les mieux établies, même dans les sciences exactes, ont été développées par des gens qui avaient vu quelque chose mais dont ils demeuraient incertains, légitimement et furent contestés de même. Froidmont met en cause la conception de l'espace comme constitué d' indivisibles (comme dans l'atomisme ancien), dans le Labyrinthus  sive de compositione continui dont Descartes fit l'éloge.

D'autres esprits s'opposeront à Descartes à Liège comme Jean Ansillon (mort après 1688). Il n'aime pas la preuve de Dieu chez Descartes (preuve ontologique), ni la théorie des animaux-machines et pour lui l'étendue est une expérience pas une idée claire et distincte.  On présente souvent Henri Reneri (1593-1639), comme un cartésien. Mais son  insistance sur l'observation semble étrangère à Descartes dans la mesure où il faut sélectionner les faits à observer, ce qui « réclame la constitution d'un objet lié au protocole d'expérimentation ; constitution qui implique une théorie générale. Autrement l'observation n'est qu'une forme d'observation pour les phénomènes particuliers »(p. 270-271). Bernard Forthomme cite aussi Gilles de Gabriel, Henri Denys, Mathias Tombeur, Arnold Dechamps, des cartésiens liégeois plus ou moins proches du jansénisme comme souvent les cartésiens selon Forthomme.

Pensée controversiste : Mathias Hauzeur

Eppur si muove

Eppur si muove

Né en 1589 à Verviers, mort en 1676, Mathias Hauzeur est un polémiste. Il est l'auteur d'un libelle hostile au calvinisme où apparaît le premier auteur d'un texte wallon identifié en 1622. Comme Arlette Farge l'a montré surtout pour Paris, ce sont ces querelles religieuses qui peu à peu vont faire naître l'opinion publique car le peuple spectateur ou lecteur de ces textes n'est pas passif mais acquiert une autorité. Le gouvernement des Pays-Bas espagnols mène même une enquête et demande des informations sur la réception de Jansénius dans tous les diocèses. Les jésuites auraient voulu qu'on aille plus vite comme pour la mise en cause de Baïus sous Philippe II, mais se réjouissent que les jansénistes sont ailleurs, dans la Principauté de Liège. Les réponses à cette enquête mettent surtout en cause les jésuites et leurs réactions extrêmes. Cette pensée controversiste fait signe aussi vers la polémicité de la philosophie. Cette pensée est aussi un substitut aux guerres de religion. BF écrit ces lignes suggestives : «  Et il s'agit aussi d'un jeu : comme Augustin, Hauzeur aime jouer avec les noms et les mots, à exploiter les assonances pour renforcer l'argumentation ou l'invective [...] l'injure constitue déjà l'accession à un plus haut degré de civilisation. Au lieu de jeter des pierres, on use de mots en usant de toutes les ressources de la langue. Je dis un pas supplémentaire de civilisation, car la lapidation est déjà un degré de culture judiciaire. Ces polémiques passent aussi par la philosophie : ainsi la querelle des universaux. On sait que certains ont dit que l'un, le bien et le vrai n'étaient que des mots ne renvoyant à aucune réalité visible. Ce qui fait que l'Église catholique, pour un contradicteur protestant d'Hauzeur, ses pompes et ses œuvres n'a rien d'universel, n'étant que de l'extérieur.   Pour Hauzeur le concept même intérieur d' « universel » est provoqué par l'impact du sensible. Or les protestants posent leur Église comme invisible , elle n'a donc dit Hauzeur « aucune vraye existence reelle hors de leurs phantasies. » (p. 301) Mais il ne comprend pas la thèse « nominaliste » de ses adversaires protestants insistant sur l'importance des Églises particulières, nominalisme qui pense que n'existe que le singulier.

Il y a dans la pensée controversiste ainsi que l'intitule BF un maniement élémentaire d'arguments peu profonds : ad hominem, ad personam, diabolisation voire bestialisation de l'adversaire jugé « cacolique » ou « cacodoxe », étymologies infamantes, néologismes féroces, jeux de mots, assonances percutantes, paronomases assassines : « il s'agit bien de rendre les adversaires « écœurants , abjects au regard du grand public, comme s'ils étaient contagieux, infectés, pestiférés... » (p. 305). Il joue aussi sur l'ancienneté de l'orthodoxie catholique visibles aux faits que les lieux n'ont pas, par exemple, changé de noms et portent toujours le nom de saints ou saintes. On ne peut  réduite Hauzeur à cela. Il a écrit une Anatomie... de toutes les doctrines de St Augustin et en particulier les Retractationes où Augustin corrige la forme de premiers écrits ou raffermit ce qui lui semble plus solide. Ici, Hauzeur selon BF inaugure « une réflexion vraiment innovante dans l'histoire de la pensée humaine » (p. 307). Il s'agit, dans cette Anatomie, dit BF, de résumer une pensée et une œuvre « à sa structure ou à ses articulations jugées essentielles » mais aussi d'édifier une sorte de nouvel Augustinusqui ne serait ni janséniste ni baïaniste. Ni partial. En examinant, dans le premier volume, Augustin selon la lettre et, dans le second, selon l'esprit. Controversiste lui-même, Mathias Hauzeur « redécouvre alors sous les diverses tentatives de systématisation, de transformation des écrits augustiniens en système doctrinal, une pensée en formation constante qui s'élabore de livre en livre, d'une partie à l'autre d'un même ouvrage élaboré sur plusieurs années, se prête à des conflits diversifiés, se reprend, se retouche » (p. 309). Mathias Hauzeur tente aussi de concilier Thomas d'Aquin et Duns Scot. Thomas affirme que  Dieu est notre fin surnaturelle mais qu'il nous est naturellement inconnu, Duns Scot qu'il est notre fin naturelle et qu'il nous est naturellement connu. Hauzeur pense que si la puissance est une propension à l'action, il n' y a pas surnaturalité, mais bien si la puissance est envisagée comme « réception d'un acte d'un acte venant du surnaturel ». Même raisonnement sur la fin de l'humain : « l'homme saint en acte implique la surnaturalité, parce qu'il la reçoit d'un agent surnaturel ». Ceci fait exactement penser à ce qu'Aubert appelle le traité de la conversion chez Blondel au chapitre I de la Ve Partie de L'ActionLe chapitre se termine par l'analyse de la méthodologie que propose Barthlémy d'Astroy pour la controverse : elle doit être conversative , impugnative, défensive et probative.


Au total, cette première partie de notre compte rendu du tome III nous semble bien montrer que, malgré la catastrophe de 1468, Liège continue à penser, débattre, critiquer, contester écrire avec les grands esprits européens comme Galilée, Descartes, Leibniz, Erasme.

Pour suivre tout le travail de B. Forthome Critique : Bernard Forthomme, Histoire de la Pensée au Pays de Liège (Tome I)