Collages autobiographiques de Daniel Olivier

1 octobre, 2019

 

Rétrospective

Rétrospective

Le volume que j'ai sous les yeux a deux titres. En haut de la couverture le titre d'un journal bruxellois du 19esiècle Tirailleur, au-dessous Rétrospective. Entre les deux une photo arrangée de l'auteur avec son visage planté sur un plus petit corps dessiné qui fait un doigt d'honneur. C'est tout un programme déjà.  Il compte plusieurs centaines de pages et comme c'est une suite de collages, il est difficile d'en rendre compte. Mais sur celui dont on parle dans l'ouvrage, par contre, il y a bien des choses à dire.

Comme tout anarchiste qui se respecte

Daniel Olivier comme tout anarchiste qui se respecte publie donc une sorte d'autobiographie.

Fils de l'avocat (brillant avocat) et député rexiste Alfred Olivier, il est né le 26 mai 1934. Il est baptisé le 1er juin 1934 et se fait débaptiser, débaptisation qui prend effet le 30 juin 1983 comme la lettre du curé de la Paroisse du Sacré-Coeur à Bruxelles, reproduite dans le volume, en fait foi selon la formule « Defecit a fide ». Nous pouvons le voir au sein de sa famille nombreuse et chrétienne photographié à Aubange le 3 janvier 1942.

Son père meurt en 1944. Degrelle lui avait demandé de démissionner en vue de provoquer l'élection partielle de 1937 où Léon Degrelle fut battu par Van Zeeland. Avec l'invasion allemande de mai 1940, son père va bientôt rompre avec Degrelle.  En septembre 1944, la famille reçoit la visite de la reine Elisabeth. L'auteur explique à quel point cette visite semblait « normale » à ses frères et sœurs, leur maman élevant leur père sur le piédestal à la fois de la sainteté d'un homme qui s'est sacrifié pour la cause de Rex et de la Belgique. Et qui est mort comme un martyr.

Renvoyé de tous les collèges

L'auteur prend soin de faire la liste de tous les collèges qu'il a fréquentés et dont il a été renvoyé par conséquent, tous les saints y passent : St Stanislas, St Louis, St Albert, St Michel, St Georges, St Boniface, St Joseph.

Il fait ensuite son service militaire comme pilote d'avion dans le cadre d'un accord entre armée belge et les USA de 1955 à 1957, effectue divers métiers de 1957 à 1968, représentant de commerce, éducateur... Il participe en 1968 à la contestation (qui l'eût cru ? ou, en bon wallon,   «  ci n'è nin possipe »). Il entame son premier travail (comme libraire), à la librairie « Joli mai ». Bien qu'il en ait relancé les ventes, il en est licencié en 1972. Il installe la librairie « La Force de lire » à Ixelles, le chapitre est daté  1971-1981.

Quand Jean-Maurice Dehousse devient ministre de la culture il lui fait parvenir une lettre ouverte dont il faut citer ce passage (d'une bien plus longue lettre) : «  La Culture étant l'habillage surfait de la bêtise spectaculaire, il est plus honorable à notre époque d'être putain que de servir d'engrais faisandés au développement de gauche des maisons pestilentielles dites de Culture. En effet, les putains, les vraies font jouir nos rues et éclairent nos boulevards : les fausses, celles du Pouvoir obscurcissent vos alcôves salonardeuses et assèchent vos partouzes politicardes. » La réponse est aussi significative du style du destinataire, Daniel Olivier ayant laissé subsister le compte bancaire de la librairie sur sa missive, le ministre lui répond en plus bref : « Avec mes compliments pour la Banque Lambert dont je suppose que vous ne trouvez pas les alcôves salonardeuses ni les partouzes politicardes. »

Une belle connaissance de l'histoire

Autre lettre, celle envoyée aux anciens de l'Institut St Boniface invitant à fêter les 20 ans de leur ancienneté auxquels les épouses sont invitées, avec le refus catégorique d'y assister : « Non, en plus vous forcez vos épouses,  réceptacles permanents de vos érections mensongères déjà cancérigée par vos ambitions de ratés ascensionnels à ouvirr leur corps-sage ( ?) à vos partouzes. [...] Petits fumiers du conjugalisme décrépit etc.»

L'auteur  parle évidemment beaucoup de sa librairie « L'Île lettrée » à Virton (puis à Montolieu), puis de sa participation au village du livre à Redu et des « Ça me dit de l'histoire » dont on peut dire qu'ils connaîtront trois éditions si l'on veut.

Daniel Olivier ne le dit pas dans son autobiographie mais c'est quelqu'un qui connaît très bien notre histoire. Il en est un lecteur infatigable et attentif. Il a ainsi organisé en 1990-1991, à la fin de l'année 2001 et de janvier à décembre 2005 de remarquables cycles de conférences historiques et politiques.

En 1990, c'est C.F. Nothomb qui ouvre la série de conférences, série intitulée « En mémoire et pour comprendre les années 40 ».  Il invite Jean Van Welkenhuizen (sur la neutralité belge), Jacques Willequet (résistance et collaboration), Alain Dantoing (Degrelle et Van Roey) , Wiliam Ugeux (la résistance et le gouvernement de Londres), (Francis Balace (l'élection partielle d'avril 1937 et Degrelle), Jules Gérard-Libois (Rex en 1936-1940), François Perin (Démembrement de la Belgique), Martin Conway (le rexisme de 40 à 44) , Georges Goriely (le gouvernement belge face au nazisme), Noël Anselot (la guerre secrète dans la province de Luxembourg et ses confins).

Du 10 novembre 2001 au 25 novembre 2001, les conférences se concentrent sur la question royale) : Christian Mesnil, Vincent Dujardin, Marcel Deprez, André Schreurs, Jean Vermeire, Marie-Sylvie Dupont-Bouchat, Michel Brélaz, Serge Deruette.

Une troisième série de conférences réunit, de janvier 2005 à décembre 2005  Van Cau (« Choisir la Wallonie), Guido Fonteyn (Mouvement wallon et flamand), Michel Dumoulin (Sur Léopold III), O. Defrance (Léopold Ier et le clan Cobourg), L. Catherine (Lépopod II ou la folie des grandeurs»), J. Noterman (Sur le roi tué, Albert Ier), Pierre  Stephany (Les dessous de la régence), E. Raskin (Sur la Princesse Lilian et la reine Elisabeth), Nadia Geerts (« Baudouin sans auréole »), C. Laporte (Albert II, premier roi fédéral).

Le libraire et l'animateur/agitateur

Comme libraire, Daniel Olivier va officier (ou sévir), dans une librairie qu'il intitule « L'Île lettrée ». Elle va se loger tant à Virton (une de mes connaissances de Virton m'a raconté que  lorsque les clients choisissaient des livres sans intérêt, il les mettaient à la porte), que Redu (où il participe à l'aventure du village du livre, aventure qui se poursuit à Montolieu, autre village du livre où la presse régionale se pourlèche les colonnes des frasques et idées géniales de celui qu'elle appelle « le Don Quichotte de Montolieu ». Notamment l'ouverture provisoire d'une rue « Tintin ».

.Daniel Olivier voulut créer à Ansart un village des vieux papiers. Le bourgmestre de la commune (de Tintigny), Benoît Piedbœuf soutint le projet mais ne voulut pas l'imposer aux habitants du village. Pour couper court aux mécontentements face au projet pas tout à fait accepté par les habitants, il leur écrivit une lettre pour redire les arguments pour et contre ce projet.

Il y parle de Daniel Olivier qui en est la cheville ouvrière et le passage de la lettre où il le décrit non sans diplomatie mais non sans franchise également vaut son pesant d'or : « Enfin, et c'est probablement un des facteurs importants de ce projet, il y avait à Ansart, pour le meilleur et pour le pire, la présence de Daniel Olivier, initiateur du projet, bouquiniste à Redu puis à Montolieu  et ayant participé à la création de ces deux villages du livre. Je dis pour le meilleur et pour le pire parce qu'évidemment, il s'agit d'un homme carré, sans concession, relativement fermé aux usages d'une bienséance commune et peu enclin aux épanchements, mais aussi d'un homme intelligent, cultivé et que j'avais soutenu dans les réalisations des « ça me dit de l'histoire » cycle de conférences controversé d'un niveau jamais plus atteint et salué a posteriori comme une réussite et une initiative exemplaires. » Plus tard les rapports se refroidirent

Tract

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Des livres

Daniel Olivier a édité plusieurs livres Menus propos autour de P.H.Spaak et L.Degrelle-, Réplique virulenteau « Léopold II, entre génie et gêne » -Plus de dix ans de lettres critiques, polémiques, sarcastiques et picratiquesDe la rive de la Critique historique d'un criticiste sur Hubert Pierlot en passant par la dérive de deux historiens, un Gouverneur et un journaliste,-Histoire de la royauté pour les oxygénésetc.

Celui qui m'a frappé le plus, c'est Plus de dix ans de lettres... Notamment parce que j'ai assisté à son élaboration au jour le jour. Daniel Olivier a le mérite d'écrire, aux auteurs de livres, particulièrement sur l'histoire de Belgique, des lettres qui ne doivent pas leur être agréables. Quand il a refermé un livre, il y a relevé toutes les erreurs qu'il contient et les énumère au bénéfice de ceux qui l'ont écrit. Recevoir pareilles missives alors que l'on vient de clore un long travail (tant c'est difficile d'écrire), constater que l'on y a commis plusieurs erreurs, n'a rien qui puisse plaire. Pourtant- sauf exception, mais y en a-t-il même une seule ?-, tous les livres en contiennent, et même beaucoup. L'idéal c'est d'en réduire le nombre. Ou bien la personne concernée ne répond pas, ou bien elle exprime son amertume et son mépris. Il faut d'autant plus féliciter ceux qui prennent bien la chose comme par exemple Manu Ruys et Guy Vanthemsche, des Flamands.

Il faudrait parler du sportif Daniel Olivier, de l'amant-mari attentionné de Mireille, excellente artiste peintre, du collaborateur de Toudi, du père d'Egon auteur d'un bon mémoire sur le rexisme. Il faut signaler aussi la lettre qu'il envoya au journal Le Soir, immédiatement après la parution du Manifeste pour la culture wallonne : « De Tournai à Verviers, d'Arlon à Wavre, pour reprendre votre projection géographique, c'est une variété de Terroirs accrochés à chacun de ses particularismes qui sont autant d'enfermements successifs. Ils sont d'abord Carolos, Brabançons, Liégeois, Gaumais et... Belges malgré tout avant d'être Wallons. Leur projet culturel ne dépasse pas, d'un côté leur folklore suranné et, de l'autre, l'assimilation la plus totale aux marchandises spectaculaires du disco et de la télévision assourdissants.

Sur la question de l'ancrage des créateurs en Belgique ou en Wallonie Daniel Olivier s'était déjà exprimé en 1982 après la parution de Alphabet des lettres belges de langue française, précédé  de « Balises pour l'histoire de nos lettres » : «  Viles courants régionalistes soufflant localement dans les sous-pentes ministérielles, il fallait un souffleur de vent pour réanimer les ambitions d'intellectuels d'aquarium qui ne pensent qu'à se servir de cet nomenclature comme tremplin express vers Paris pour ne plus ramper miséreusement à Bruxelles entre des éditeurs budgétisés par le ministère et les comptes d'auteur sans budget du même Ministère. »

Conclusion

Toudia pu compter sur la collaboration de Daniel Olivier notamment pour des comptes rendus d'ouvrages sur Léopold III, la Résistance, les évènements de 1848 en Gaume, particulièrement à Virton qui hissa le drapeau rouge sur l'hôtel de ville. De cette même région qui conteste toujours faire partie de la Wallonie (de sorte qu'elle ne pourrait s'en passer), nous venait aussi Baudhuin Simon, artiste du mail-art, né en 1947 et décédé tragiquement en se jetant sous un train le 8 mars 2006. Lui aussi, un anarchiste.

En se félicitant d'avoir de tels amis, la revue applaudit à leurs deux parcours. Celui de Daniel Olivier n'est toujours pas terminé et nous lui souhaitons de continuer à agiter les cocotiers du Royaume et de la Wallonie.

Lors du départ de Daniel Olivier et de son épouse de Montolieu, le journal L'Indépendantécrivait : « Daniel Olivier, c'est l'un des deux premiers bouquinistes à avoir risqué l'aventure, car c'en était une à ce moment-là, de venir s'installer à Montolieu.  Daniel Olivier, c'est aussi l'homme qui, presque tout seul, a créé le premier printemps du livre, où il a dépensé son énergie, son image et ses deniers. Il entre pour beaucoup dans la réputation de dynamisme  qui émanait du Village du livre à sa création. » 

Irritant au plus haut point Daniel Olivier me semble avoir bien mérité de l'anarchie mais aussi de la Fraternité.