Argentine, un pays sous pression

24 janvier, 2013
Cette analyse vise à retracer les pressions auxquelles fait face l’Argentine aujourd’hui. Le projet kirchnériste, plus décrié dans les média dominants, occidentaux comme locaux, que par le peuple argentin lui-même 1, ne s’est pas fait que des amis.2

 

Les documents auxquels il sera fait référence dans cette analyse proviennent, dans l’immense majorité des cas, de sources argentines. Ces dernières sont relativement peu connues et peu exploitées en Europe. Cet état de choses est évidemment dommageable. En se contentant de matériaux de seconde main, la probabilité de relayer des informations fausses est, en effet, loin d’être mince.

 

Libertad, libertad, libertad 3

Ainsi, l’affaire du Libertad n’a pas fait grand-bruit dans les grands média d’Europe occidentale 4. Et pourtant, elle est instructive. Le 2 octobre 2012, le Libertad, un trois-mâts faisant office de bateau-école pour les forces navales argentines et par ailleurs, détenteur du record du monde de vitesse, depuis 1966, pour la traversée de l’Atlantique Nord 5, mouillait paisiblement dans un port ghanéen.

 

Ce jour-là, un juge local décidait de donner gain de cause au fonds d’investissement, NML Capital, filiale de Elliott Capital Management, dont l’adresse de contact est située à Limassol 6, capitale de la République de Chypre (Chypre fait partie de la liste des paradis fiscaux selon le FMI)7. La croisière du Libertad virait de bord et s’apprêtait à traverser les quarantièmes rugissants des cours et tribunaux. Fin novembre 2012, l’Argentine portait l’affaire Libertad devant une juridiction de l’ONU, le Tribunal international du droit de la mer. Pour mémoire, le Tribunal international de la mer est installé à Hambourg (Allemagne) et se compose de 21 juges élus au scrutin secret par les États parties à la Convention des Nations unies sur le Droit de la Mer de 1982.

« Le Tribunal dispose d'une compétence obligatoire dans les affaires relatives à la prompte mainlevée de l'immobilisation du navire et à la mise en liberté de son équipage au titre de l'article 292 de la Convention ainsi qu'à la prescription de mesures conservatoires en attendant la constitution d'un tribunal arbitral en vertu de l'article 290, paragraphe 5, de la Convention »8. C’est à ce titre que le gouvernement argentin s’est pourvu devant cette juridiction internationale, arguant de ce qu’une immunité spécifique couvre les vaisseaux de guerre (Art. 8, §1, de la Convention sur la haute mer conclue à Genève le 29 avril 1958 et entrée en vigueur le 30 septembre 1962). Et le Tribunal de donner raison, le 15 décembre, à l’Argentine ordonnant au Ghana de laisser le Libertad s’en retourner en Argentine 9. Le cas de la frégate Libertad, saisie en octobre 2012, ne constitue qu’un épisode de plus dans le bras de fer qui oppose le gouvernement argentin aux fonds vautours. A ce jour, les fonds vautours ont tenté de mettre le grappin sur 28 biens de l’Etat argentin à travers le monde. Par exemple, des réserves de la Banque centrale, des comptes d’ambassade et jusqu’au Tango 01, l’avion présidentiel 10. Mais pourquoi sont-ils si méchants? Pour répondre à cette question, il faut retracer la longue odyssée de la dette argentine.

Rétroactes

L’explosion de la dette en Argentine fut des plus spectaculaires. Alors qu’en 1982, date de la crise de la dette, cette dernière représentait plus ou moins 50% du produit intérieur brut (PIB). Vingt ans plus tard, elle dépassait les 70% de ce même PIB.

Une des caractéristiques majeures aura été la parité dollar-peso. D’après Pierre Salama, « l’Argentine s’est distinguée des autres pays en perdant quasi complètement la possibilité d’avoir une politique monétaire autonome avec l’institutionnalisation du plan de convertibilité (connu à l’étranger sous le nom de ‘currency board’) et donc l’abandon d’une politique de change réel » 11 Cette parité fixe (peg dans le jargon) constituait un avantage de taille pour les investisseurs étrangers puisqu’elle les protégeait d’une dépréciation des capitaux réexportés. Une saignée à blanc des finances publiques argentines en a résulté.

Ainsi, selon les travaux de Daniel Azpiazu 12, de 1992 à 2000, pour chaque dollar engrangé par les 500 plus grandes entreprises privatisées, 80 cents étaient expatriés. De 1992 à 2000, près de 9.000 millions de dollars ont quitté le territoire argentin. S’y ajoutent les intérêts nets de la dette extérieure, à savoir 6.166 à 7.608 millions de dollars. De plus, « la fixité du taux de change réel implique nécessairement une très grande flexibilité de la main d’œuvre (salaire, conditions de travail) - puisque ce qu’on ne peut pas obtenir en dévaluation doit l’être sur le coût du travail ». Par ailleurs, les remboursements de la dette ont bien évidemment amenuisé les dépenses publiques.13.

Ces facteurs cumulés ont exercé une pression à la baisse sur la croissance du PIB au cours des années 90. On peut, à ce sujet, parler de cercle vicieux. La liaison peso-dollar a favorisé l’ouverture de l’économie argentine permettant l’évasion de capitaux et la captation de valeur ajoutée par l’étranger. Plus les profits étaient rapatriés d’Argentine (ce qui conduisait à une dégradation la balance des paiements), plus l’Etat s’endettait, faute de rentrées fiscales. Et plus l’Etat s’endettait, plus les dépenses publiques étaient comprimées. Ce qui comprimait la croissance du PIB, les rentrées fiscales et, au final favorisait l’endettement public. Schéma éminemment explosif. L’explosion a eu lieu en 2001.

En décembre 2001, pour maintenir la liquidité bancaire, au moment même où les capitaux quittaient le pays, le gouvernement impose aux Argentins le corralito. Le corralito définissait un plafond aux retraits d'argent à 250 pesos par semaine. Afin de lutter contre la fuite des capitaux, le gouvernement de l’époque interdisait les envois de fonds à l’étranger. Cette mesure créa un mouvement de panique chez les épargnants. Le gouvernement du président de la Rúa n’allait pas y résister et tombait trois semaines plus tard. L’Argentine entrait dans le chaos. La répression des mouvements sociaux, à l’époque, fait 31 morts. De la Rúa remet sa démission et s'enfuit du palais présidentiel en hélicoptère. Et en dix jours, quatre présidents intérimaires se succèdent à la tête de l’Etat (Camaño, Rodriguez Saa, Puerta, Duhalde),

Les temps étaient mûrs pour un changement de modèle économique. Le gouvernement argentin déclare un moratoire sur le paiement de sa dette et enchaîne les dévaluations du peso par rapport au dollar au cours de l’année 2002. En mai 2003, Nestor Kirchner est élu président. Et il entrait clairement dans les intentions du président fraîchement élu de mener, tambours battants, une négociation des plus musclées avec les créanciers du pays. Les pourparlers allaient durer deux ans.

Et en 2005, l’inflexibilité de Kirchner payait. L’Argentine, en cessation de paiement depuis 2001, arrachait un accord historique. Le stock de la dette était restructuré à hauteur de 75%. En échange, les créanciers de l’Argentine ont reçu des obligations à maturité plus longue et d'une valeur nominale allant de 25 à 35 % de celle des titres originaux. En matière d’annulation de dette, l’Argentine péroniste constitue, comme nous le verrons, un cas d’école et un modèle pour bien d’autres Etats d’Amérique du sud.

En 2006, le gouvernement de Buenos Aires remboursait anticipativement la totalité de sa dette auprès du FMI (9,8 milliards de dollars). Le pays se libérait de la tutelle de la part de cette envahissante institution. En 2009, le gouvernement argentin négociait avec les créanciers restés en dehors des accords de 2005 (dans le jargon, ces créanciers sont qualifiés de holdouts). Là encore, l’inflexibilité payait.

Le taux d’adhésion des créanciers de la République argentine aux conditions de restructuration de 2009 était de 76%. Au total, plus de 90% des créanciers de l’Argentine ont accepté la restructuration de la dette portée à bout de bras par l’administration Kirchner.

Libertad et les vautours

NML capital est un fonds vautour dont la mission consiste à vivre des déboires financiers des Etats du Tiers-monde. Quand un Etat est sur le point de déclarer qu’il ne peut plus payer sa dette publique, la valeur sur le marché secondaire de la dette publique (le marché où les acteurs financiers s’échangent, entre eux, les titres de la dette) de cet Etat pique logiquement du nez. C’est ici qu’interviennent les fonds vautours. Ils rachètent, pour une bouchée de pain, les titres fortement dépréciés pour, ensuite, dépêcher des hordes d’avocats afin de réclamer la valeur d’origine des titres assortie d’intérêts de retard.

Dans le cas argentin, les fonds vautours ont acheté des titres de la dette publique argentine à 20% de sa valeur faciale un peu avant le défaut de paiement 2001 et, depuis, harcèlent le pays des gauchos.

Fonds vautours à qui la justice américaine a bien failli donner raison en novembre 2012. Le juge new yorkais Thomas Poole Griesa statuait, le 22 novembre 2012, que l’Etat argentin devait payer aux créanciers holdouts la valeur nominale des obligations achetées en vertu du principe d’égalité de traitement entre détenteurs de la dette dans la mesure même où la partie restructurée de la dette est actuellement payée sans difficultés aux parties. Aux termes du jugement, l’Argentine devait verser 1,33 milliard de dollars à NML et Aurelius Capital Management LP 14.

L’affaire n’allait pas en rester là. Le 26 novembre, la République argentine faisait appel de la décision du juge Griesa. Et la cour d’appel de New York de suspendre, fin décembre 2012, la décision du juge Griesa 15. Les arguments du gouvernement de Buenos Aires étaient les suivants. L’application des conclusions du juge Griesa n’aurait pas manqué de léser les créanciers dociles ayant, bon gré mal gré, accepté les conditions de restructuration de la dette. Or, si l’on suit les conclusions du juge Griesa, puisque l’Argentine refuse, depuis 2003, de mettre en place un quelconque traitement de faveur pour une catégorie particulière de créanciers, c’est l’ensemble des paiements qui auraient dû être gelés.

Par ailleurs, les avocats de Buenos Aires faisaient valoir que la décision prise par le juge Griesa était de nature à porter préjudice à la position hégémonique du dollar sur le marché de la dette publique des émergents. Si la décision du juge Griesa avait dû faire jurisprudence, il eût été plus avantageux pour les Etats émetteurs de dette d’emprunter dans d’autres devises que le dollar afin d’échapper au système de remboursement américain. Le rôle du dollar, une matière sensible pour l’oncle Sam en cette période de crise. Voilà qui explique, sans doute, le soutien appuyé de l'administration du président Barack Obama à l’initiative du gouvernement Kirchner 16. En l’état actuel de la procédure, une nouvelle audience est attendue, le 27 février 2013. En attendant, le gouvernement argentin a pu régler l’échéance de 3,5 milliards de dollars attendue par les créanciers ayant adhéré aux conditions de la restructuration 17L’Argentine reste aujourd’hui un pays sous pression. L’enjeu de ces dernières se rapporte sans ambiguïtés au nouveau modèle économique mis en place depuis l’avènement de Nestor Kirchner aux commandes de l’Etat.

Coûteuse oligarchie

Alors que la frégate Libertad abordait les côtes de l’Argentine, des voix discordantes n’ont pas manqué de se faire entendre. Ainsi, Mauricio Macri, le chef de l’opposition de droite et actuel gouverneur de la ville de Buenos Aires, déclarait urbi et orbi que l’Argentine devait régler ses dettes vis-à-vis des fonds vautours 18. La finance internationale en Argentine avait trouvé son homme.

Petit détail gênant : le père de Mauricio Macri, dans les années 80, n’avait pas hésité à faire socialiser les pertes de deux entreprises du groupe familial (pour l’anecdote, Sevel et Socma) au début des années 80 sous la dictature militaire (1976-1983). A cette époque, les données sont claires. Une « politique oligarchique enracinée non seulement dans la soif de profit mais également dans la haine de classe, s’est appliquée sans difficulté majeure puisqu’à ce moment, la moindre protestation (…) était immédiatement réprimée »19. A l’époque, on repère la conjugaison d’un taux d’endettement public croissant (la dette publique argentine a été multipliée par 3 sous la dictature) couplé à un taux de change très élevé. Pour payer la dette publique, résultant dans certains cas de socialisation de pertes réalisées de groupes privés, l’Etat joue sur la carte des bas salaires pour favoriser les entrées de devises. Ce schéma a été pulvérisé, dès 2003, avec les dévaluations en série du peso et la fin de non-recevoir opposée aux créanciers du pays.

Depuis, la politique économique argentine suit un cours radicalement différent. A un taux de change compétitif, s’ajoute un désendettement massif des pouvoirs publics et une augmentation de la part des salaires dans le PIB. Dans un rapport sur la situation des salariés en Argentine, la Banque centrale de la République argentine (BCRA) estimait que les salaires représentaient 49% du PIB. Un chiffre qui n’avait plus été égalé depuis 1974. Le partage de la valeur ajoutée, en Argentine, a connu une bifurcation importante et se caractérise par des tendances clairement favorables au facteur travail. Pour mémoire, la masse salariale dans le PIB argentin n’a, entre 1993 et 2001, jamais dépassé les 40%. En 2002 et 2003, cette proportion était tombée à 34% du PIB 20

Cette politique d’augmentation de la part des salaires dans le PIB a permis à la demande locale de connaître une croissance importante au cours des dernières années. S’il est évident que la consommation intérieure tire vers le haut la production nationale, cette dernière a nécessairement un temps de retard dans sa réponse à la demande des consommateurs. Il peut en résulter, fort logiquement, une hausse de l’inflation. C’est l’analyse développée par les économistes mainstram en Argentine qui imputent à la préférence manifestée par les péronistes pour l’augmentation du taux de salaire dans le PIB une responsabilité majeure dans la formation de l’inflation au niveau national. Historiquement, les politiques péronistes (à l’exception notable du ménémisme 21 dans les années nonante) privilégient « une forte redistribution du produit national, l’expansion de la politique du crédit et des dépenses publiques »22. En pointant exclusivement l’inflation par la demande, les courants économiques représentant les intérêts de l’oligarchie locale en oublient de pointer certaines réalités gênantes. « Ainsi, peut-on évaluer à près de 70 milliards de dollars (50,5 milliards d'euros) la fuite de capitaux des quatre dernières années, dont un record de 21 milliards de dollars (…) pour l'année 2011 »23. 70 milliards de dollars en 4 ans, cela représente près de 16% du PIB argentin. La perte n’est pas mince, comme nous le verrons plus tard, pour l’économie nationale.

De plus, l’Argentine accuse une balance négative en matière énergétique. Là encore, cette sortie de moyens de paiement fragilise l’économie locale puisqu’elle correspond à une précarisation du cours de la monnaie nationale (le peso), l’énergie se payant en dollars sur les marchés internationaux. Pour mémoire, En 2011, le déficit énergétique extérieur a dépassé les 3 milliards de dollars, Et il aurait doublé en 2012 24.

Inévitable volontarisme

L’économie argentine est essentiellement agro-exportatrice. Et le secteur primaire (essentiellement, l’agriculture) se caractérise, en Argentine, par une productivité supérieure par rapport à l’industrie.

Cette compétitivité du secteur agricole, couplée à son importance dans la structure des exportations (les produits alimentaires représentent plus de la moitié des exportations du pays) entraîne que le taux de change réel est déterminé par la productivité du secteur primaire. Soit un niveau trop élevé, en revanche, pour permettre aux industries argentines d’être compétitives au niveau international.

La productivité déficiente de l’industrie argentine n’étant pas compensée par un taux de change avantageux rendant moins chers ses produits sur la scène internationale, il en résulte, pour elle, des difficultés à exporter. Cette structure a été qualifiée par l’économiste Marcelo Diamand de « structure productive déséquilibrée » 25. Dans ces conditions, une augmentation de la demande interne n’est en rien synonyme d’augmentation des investissements en Argentine. En effet, les entreprises qui veulent accroître leur production pour satisfaire la demande locale ne trouveront ni machines ni composants sur place. Il faudra les importer. Dès lors, lorsque l’économie argentine croît, c’est-à-dire lorsque son secteur agricole exporte plus et que la demande intérieure progresse, le pays se retrouve dans l’obligation d’importer davantage. Or, pour pouvoir payer ses importations, le pays doit trouver des dollars supplémentaires. L’Argentine est donc un pays en quête permanente de capitaux de par son mode de fonctionnement économique. Et dès que l’entrée de devises dans l’économie argentine se tarit, le pays est soumis à de fortes pressions.

Or, depuis le défaut de 2001, l’Argentine ne peut compter que sur sa balance commerciale pour accumuler les précieux dollars. L’achat des dollars se fait sous la supervision de la Banque Centrale de la République Argentine (BCRA). But de l’opération : faire en sorte que les réserves en devises correspondent à la demande des acteurs économiques.

Or, comme nous l’avons vu, l’année 2012 s’est caractérisée par une profonde dégradation de l’excédent commercial argentin. Le pays manquait de dollars. Il y avait trois solutions face à ce dilemme. Soit dévaluer. Soit reconduire les mécanismes de la dépendance (ainsi, la dette extérieure). Soit miser sur ses propres forces. C’est ce que le gouvernement argentin a choisi de faire. Examinons les perspectives qu’offre chacune de ces pistes pour les Argentins.

Revenir sur les marchés des capitaux, c’est la piste que propose la droite argentine aujourd’hui. On rappellera que lorsque la frégate Libertad rentrait au pays, le leader de la droite, Mauricio Macri, proposait que le gouvernement règle les fonds vautours pour pouvoir réemprunter sur les marchés financiers. La réponse peut paraître claire, simple et définitive. Puisqu’il manque des dollars, faisons-les entrer aux conditions de la finance internationale. Les choses sont plus compliquées. L’Argentine, en dehors de la problématique des pays vautours, est toujours considérée comme un paria par la finance internationale. Et les taux auxquels le pays risquerait de devoir rembourser sa dette, s’il refaisait appel à ses créanciers d’autrefois, seraient à proprement parler insoutenables. La prime de risque pays proposée par les agences de notation pour l’Argentine et définissant la base sur laquelle sont calculés les taux d’intérêt pour le pays était de 1049 points de base, soit 10,49% 26. Le corollaire d’une telle politique réside dans l’application d’une austérité impitoyable en Argentine. Or, cette dernière permettrait, d’après ses promoteurs, à rendre compatible le maintien du taux de change actuel avec les intérêts du secteur le plus productif, à savoir le secteur primaire (et plus particulièrement, l’agrobusiness), tout en permettant au secteur secondaire d’exporter en jouant la carte des bas salaires. On se gardera de parler d’alternative tant les similitudes sont grandes avec le modèle qui a précisément implosé en 2001.

A droite toujours, des voix se sont également élevées pour demander au gouvernement de dévaluer le peso afin d’encourager les exportations industrielles. Cette proposition n’a pas retenu les faveurs de l’administration Kirchner. Une dévaluation du peso s’avère des plus risquées. En effet, les capacités de production du secteur primaire sont utilisées à leur plus haut niveau. Attirés, par la baisse du cours du peso, de nouveaux clients pourraient se porter demandeurs de biens agricoles argentins. Mais comme les capacités de production de ce secteur tournent déjà à plein régime, il en résulterait de fortes tendances inflationnistes sur un certain nombre de biens alimentaires cruciaux. Les consommateurs argentins qui paient en pesos (et sont donc moins intéressants du point de vue de l’accumulation des précieux dollars) seront évidemment les derniers servis. In fine, la position compétitive de l’industrie argentine pourrait ne pas sortir renforcée du fait d’une dévaluation puisque l’augmentation du coût des aliments sur le marché local finirait par être, au moins en partie, répercutée dans les salaires. Ce qui pourrait, de surcroît, autoalimenter le processus inflationniste en retour.

Tant le recours à la dévaluation que le retour sur les marchés financiers constituent des stratégies des politiques d’adaptation à la structure productive déséquilibrée. Jusqu’à présent, le gouvernement Kirchner adopte une posture plus offensive et tente, tant bien que mal, d’apporter une réponse de fond aux problèmes structurels de l’économie argentine.

Les dollars dont ont tant besoin les Argentins correspondent, pour l’essentiel, à trois postes : les importations, le paiement de la dette ainsi que les mouvements de sortie des capitaux. Or, ce sont les exportations qui nécessitent le plus l’achat de dollars. L’explication est simple. Un opérateur économique argentin désireux d’importer un bien ne pourra le faire qu’en ayant recours au billet vert comme moyen de paiement. Les agents économiques extérieurs sont, en effet, peu désireux d’accumuler des pesos argentins. Les importations sont donc toutes réglées en dollars et représentent le plus gros poste d’achat de devises (18,40% du PIB en 2010 27). Cette question est particulièrement épineuse pour l’administration Kirchner.

Sous la présidence de Cristina Kirchner, l’Etat argentin a donc adopté une posture de patriotisme économique que certains courants péronistes n’hésitent pas à décrire comme un nouvel épisode de libération nationale. Cette réaffirmation de la souveraineté nationale en matière économique, de la part d’une nation opprimée, constitue, vu d’Europe, un virage clairement orienté vers la gauche. Un haut fait d’armes du patriotisme économique de l’administration kirchnériste aura été la nationalisation d’YPF. Faute d’investissements, la firme YPF (ex compagnie nationale privatisée dans les années 90), spécialisée dans l’extraction gazière et pétrolière, n’a pas réussi à accompagner la croissance argentine. Ce qui a conduit le pays à devenir importateur net de carburants en 2011. YPF, depuis sa privatisation dans les années 90, était une filiale de la compagnie espagnole Repsol.

Plus de 60% de Repsol de la structure actionnariale correspondait à du capital flottant. Le capital flottant d'une société cotée correspond à la partie des actions effectivement susceptibles d’être échangées en bourse. La théorie économique mainstream (lisez néolibérale) postule que plus le volume de capital flottant d'une compagnie est important, plus sa liquidité s’en trouve renforcée. Ce qui, d’après la doxa, exerce un effet positif sur le niveau des investissements. Les choses sont différentes dans la réalité. Au contraire, on peut, avec le recul, formuler l’hypothèse que plus le capital flottant d’une entreprise est important, plus les opportunités d’investissements s’en trouvent réduites. En effet, le capital flottant d’une société fait l’objet d’évaluation de performances par les institutions financières actives sur les places boursières. L’achat d’actions et le financement des entreprises est, en fait, directement lié à la possibilité d’offrir un confortable retour sur investissement. Pour ce faire, les directions d’entreprises se montrent particulièrement sélectives en ce qui concerne les projets qu’elles exécuteront. Le lien avec YPF ? La politique de contrôle des prix des hydrocarbures et du gaz mise en place par le gouvernement argentin limite les retours sur investissement. Pour des raisons de différentiels de coûts d’exploitation, il était plus commode pour Repsol d’importer en Argentine du pétrole venu d’autres sites en Amérique du Sud. Quitte à déséquilibrer la balance des paiements de la République argentine.

La nationalisation d’YPF ne constitue qu’un exemple du patriotisme économique du gouvernement argentin. Ce dernier entend, de plus en plus, pratiquer une politique de substitution aux importations pour développer son industrie locale. Par ailleurs, le gouvernement applique un principe avec certaines multinationales occidentales. Un dollar qui sort doit faire entrer un autre dollar. Ainsi, la firme automobile Porsche (Allemagne) a été contrainte d’acheter en 2001 du vin et de l'huile d'olive pour faire entrer une centaine de véhicules en Argentine. BlackBerry (Canada) a été obligé d’ouvrir une unité dans le sud du pays pour continuer à vendre des téléphones portables en Argentine 28. Face aux cris d’orfraie des partenaires commerciaux de l’Argentine, Cristina Kirchner faisait constater qu’au sein du G 20, l’Argentine était le pays dont les exportations avaient le plus crû (+30%) après l’Inde (+60%).

Afin d’endiguer la fuite des capitaux, le gouvernement de Cristina Kirchner a édicté un ensemble de mesures qui ont alimenté la polémique en Argentine. Cette politique vise à relativiser le poids du dollar dans la vie des entreprises et des ménages en Argentine. Pour ce qui est des entreprises, ces mesures visaient tout spécialement les entreprises du secteur extractif. Les entreprises des secteurs pétrolier et minier actives sur le territoire argentin jouissaient, jusqu’à présent, d’un régime de change spécifique et tout-à-fait avantageux.

Pour une poignée de dollars

Les multinationales du gaz et du pétrole qui retiraient des dollars de leurs exportations ne devaient changer leurs dollars en pesos qu’à raison d’un montant de 30%. Pour le secteur minier, le régime était encore plus favorable puisqu’il établissait que les multinationales présentes en Argentine ne devaient pas changer leurs dollars contre des pesos. De cette façon, les dollars accumulés pouvaient être renvoyés à l’extérieur sans risque de change. Il en résultait pour la Banque centrale de la République d’Argentine un manque à gagner en termes de devises susceptibles de couvrir les opérations de change de la population. Depuis le mois d’octobre 2011, ce régime de faveur n’a plus cours.

Un autre volet a accompagné le plan de sortie de la dollarisation de l’économie du pays. Il porte sur le patrimoine des épargnants argentins. La valeur du peso sur le marché des changes n’a pas toujours été des plus stables. En prime, l’Argentine a déjà connu des périodes de grande instabilité bancaire. Pour se prémunir contre ces risques, les ménages valorisent leur épargne en dollars. Par ailleurs, l’Argentine est un des pays les moins bancarisés de la planète. D’autre part, le travail informel est important en Argentine. 34,5% des salariés argentins étaient, en fait, employés au noir 29 . En 2008, le taux de bancarisation de l’Argentine était de près de 28% pour 2012 ce qui situe le pays à un niveau inférieur à celui du Bénin ou du Cap Vert 30, Evidemment, ces liquidités ne sont pas disponibles pour des investissements via le système bancaire. Elles sont tout simplement thésaurisées et serviront, dans la plupart des cas, à financer des achats de titres financiers libellés en dollars. Pour limiter les achats de dollars par les résidents, le gouvernement a édicté les règles suivantes courant 2012. Depuis cette date, les opérations d’achat de dollars sont strictement encadrées par le fisc local (AFIP). Et l'achat de dollars n'est autorisé qu'en fonction des ressources connues. Par ailleurs, l’achat de dollars à l’étranger a été soumis à de sérieuses limitations. Dans de nombreux pays d’Amérique latine, il est possible de choisir entre le dollar et les diverses monnaies locales aux distributeurs de billets. La chose n’est désormais plus possible que pour les citoyens disposant de comptes abondés en dollars dont l’existence aura été justifiée devant le fisc local. Ces mesures vident évidemment à faire en sorte que les pesos du secteur informel ne puissent être convertis en dollars et alimentent, dès lors, l’économie locale.

Les résultats des politiques de patriotisme économique du gouvernement argentin semblent, sans qu’il soit question, à ce stade, de tirer de conclusions définitives, donner de bons résultats. « L'excédent commercial de l'Argentine a progressé de 22,4% en 2012, pour atteindre 12,66 milliards de dollars, en raison notamment d'une chute des importations, a indiqué jeudi (NDLR le 9 janvier 2013) la présidente argentine Cristina Kirchner ». 31 Et le financement des investissements par l’épargne locale recueille de bons résultats. YPF a émis auprès des petits épargnants avec succès une obligation libellée en pesos. L’émission obligataire visait à recueillir 50 millions de pesos. Les achats de la part du public ont dépassé les 323 millions de pesos.

Bien sûr, les limitations posées à l’achat de devises par le gouvernement n’ont pas fait que des heureux. A la suite de l’adoption de ces dispositions, des manifestations ont été organisées un peu partout dans le pays à partir d’octobre 2012. La question de la limitation de l’accès au marché des changes y a été couplée avec un thème beaucoup plus électoral. Cristina Kirchner a été élue deux fois, en 2007 et en 2011. Selon la Constitution argentine, elle ne pourra plus se représenter en 2015. Certains parlementaires kirchnéristes poussent à une modification de la constitution de façon à permettre une réélection de Cristina Kirchner. Ce serait, d’après eux, le meilleur moyen de pérenniser les acquis du nouveau modèle. On rappellera, à ce sujet, que, sous la gestion des Kirchner, le taux de chômage en Argentine est passé de 20% en 2003 à 7% au troisième trimestre 2012.

Les médias occidentaux ont beaucoup évoqué les manifestations organisées contre le gouvernement populiste de Cristina Kirchner. Le Nouvel Observateur titrait, dans son édition mise en ligne le 9 novembre 2012, « Argentine. Manifestations monstres contre Cristina Kirchner ». Le prestigieux hebdomadaire parisien, citant les quotidiens d’opposition « La Nation » et « Clarín », évoquait des mobilisations « de plusieurs centaines de milliers de personnes ». On fera valoir que la mobilisation organisée en soutien à Cristina Kirchner, un mois plus tard, avait réuni 800.000 personnes à travers le pays32. La chose fut étrangement moins commentée dans nos média.

La question de la dette

A gauche, la politique de change du gouvernement Kirchner a également fait l’objet de critiques acerbes. Les milieux altermondialistes argentins revenaient sur la renégociation de la dette par Nestor Kirchner33. Selon ces milieux, l’Argentine serait asphyxiée par la charge de sa dette. Dans ces milieux, il est de bon ton d’affirmer que la dette publique argentine est repartie à la hausse après la restructuration de 2005.

Pourtant, si l’on exclut du calcul de la dette publique argentine les titres ayant fait l’objet d’une restructuration et qui n’ont pas été présentés pour échange en 2005 et 2009, la dette publique argentine est passée de 166,4% en 2002 à 41,5% du PIB au deuxième trimestre 2012. On voit, d’ailleurs, une baisse spectaculaire de la dette extérieure argentine qui est passée de 95,3% à 14,1% du PIB. Aujourd’hui, la dette publique argentine est majoritairement détenue par des résidents (66%). Ce n’était pas le cas en 2002. A l’époque, la dette extérieure représentait plus de 57% de la dette publique.

En termes d’échéances, on observera qu’entre 2013 et 2015, l’Etat argentin devra rembourser 10 milliards de dollars de capital et 5 milliards d’intérêts. Après une remontée des remboursements aux alentours de 12 milliards de dollars en capital en 2017 (et seulement 4 milliards d’intérêts), les échéances connaîtront un allégement constant pour être systématiquement inférieures à 2.000.000.000 de dollars en capital et 3.000.0000.000 d’intérêts jusque 2022.

Le profil de l’Etat argentin correspond clairement à un désendettement spectaculaire et constant. Par ailleurs, le service de la dette mesuré par rapport aux exportations est de l’ordre de 10%. Pour mémoire, le service de la dette est la somme que l'emprunteur doit honorer pour rembourser sa dette, capital inclus 34. Or, les exportations représentent 22% du PIB argentin. Autrement dit, le service de la dette de l’Etat argentin représente, aujourd’hui, un peu plus de 2% du PIB 35. Du point de vue de la sortie des moyens de paiement, le service de la dette a fait l’objet d’une attention moins soutenue que les importations et les sorties de capitaux.

Du point de vue de la sortie des moyens de paiement, le service de la dette a fait l’objet d’une attention de la part du gouvernement moins soutenue que les importations et les sorties de capitaux. Les chiffres, comme nous l’avons vu, plaident pour une telle approche. La charge de la dette publique argentine mobilise annuellement  4% du PIB et les importations 18,40%. Il n'y a pas photo en termes de priorités politiques.

L’argumentaire développé par la mouvance altermondialiste argentine porte également sur les modalités de restructuration de la dette publique. Le moins que l’on puisse dire est que le jugement est lapidaire. Les bons émis en pesos font l’objet d’un ajustement des intérêts au CER (un coefficient calculé avec le taux d’inflation). Jusqu’à présent, l’opposition (y compris de gauche en Argentine) a toujours estimé que les chiffres de l’inflation étaient inférieurs à la réalité. Dans ces conditions, le deal est plutôt bon pour l’Etat qui rembourse ses emprunts en pesos à une valeur dépréciée. En outre, toujours selon les mêmes sources, les bons émis en devises sont indexés sur la croissance du PIB. Ce qui serait particulièrement coûteux. En réalité, ce mécanisme pèse de moins en moins sur les finances argentines. La dette libellée en dollars pesait pour 12,3% du PIB contre 9,4% au deuxième trimestre 2012 36

Il semble que la vraie pierre d’achoppement entre cette gauche et l’administration Kirchner concerne les modalités qui ont amené à la renégociation de la dette argentine. Selon certains courants du mouvement social, le gouvernement argentin aurait eu tort de ne pas réaliser un audit citoyen de la dette. Comme l’a fait le président Correa en Equateur.

Sommaire rappel des faits. A la mi-décembre 2008, l’Equateur entrait en défaut de paiement pour la troisième fois en 14 ans. Le litige portait sur 40% de la dette extérieure. Un quotidien proche de l'Etat équatorien, El Telégrafo 37, n’hésitait pas à parler d’erreur « dans la mesure où le gouvernement a fait élaborer un audit par une commission ne relevant que du gouvernement. On a déclaré la dette illégale sans rechercher un arbitre qui le confirme, c'est-à-dire que le débiteur [le gouvernement] a lui-même déclaré sa dette illégale ». Ce reproche devait être fondé puisque le président Correa précisait, quelques semaines après l’audit international de la dette, que l’Equateur étudiait « encore avec des avocats nationaux et internationaux les stratégies juridiques et légales pour contester une dette qui, j'insiste, est immorale et illégitime, mais nous devons encore démontrer au niveau international qu'elle est illégale. Nous présenterons dans les prochains jours un plan de restructuration qui permette aux créanciers de récupérer une partie de leurs papiers, mais sans exiger leur montant nominal »38. Un mécanisme qui rappelle curieusement celui qui a été appliqué par Nestor Kirchner en 2005. En 2011, il était clair que comme le gouvernement Kirchner l’avait fait, quelques années auparavant, l’Equateur avait également renégocié la partie illégitime de sa dette puisque les créanciers de l’Équateur (FMI, Banques, et autres fonds institutionnels) ont été consultés avant d’accepter cette décision à 95%. Cette approche diffère clairement d’une annulation pure et simple.

Du point de vue des résultats obtenus, l’approche du gouvernement Correa a amené à une diminution en volume de la dette publique équatorienne de l’ordre de moins de 10 points de pourcentage. « En 2006, la dette publique externe était de 10,2 milliards de US$ et représentait le 24% du PIB. En mars 2010, son montant était de 8,68 milliards de US$, ce qui représentait le 15% du PIB »39. On remarquera que l’Argentine a réalisé une baisse de sa dette de plus de 100 points de pourcentage. L’Argentine partait d’un niveau d’endettement sensiblement plus élevé (166,4% du PIB en 2002, soit près de 500 milliards de dollars). Ces chiffres tendent juste à prouver que les situations de l’Argentine et l’Equateur sont fort différentes. Ce sont, en effet, deux pays qui, économiquement, ne boxent pas dans la même catégorie. L’Argentine en défaut menaçait autrement la santé financière de différents établissements bancaires que l’Equateur. Ce qui explique bien des pressions sur le pays.

Par ailleurs, les contextes respectifs dans lequel les renégociations de dettes ont eu lieu dans ces deux pays est profondément différent. Dans le cas équatorien, le président Correa a anticipé l’impact de la chute des cours pétroliers (le pétrole représente 40% des rentrées de l’Equateur) alors que la crise de 2008 venait d’éclater. En Argentine, lorsque le gouvernement, à bout de souffle, fait défaut en décembre 2001, il entre aussitôt en négociation avec ses créanciers. Et c’est de cette négociation déjà entamée à la fin de l’année 2001 qu’a hérité Nestor Kirchner en 2003.

Petit exemple des pressions exercées à l’endroit du gouvernement argentin par les créanciers du pays. Lorsque le président par interim Eduardo Duhalde négociait en 2002 avec le FMI, il lui fut, par exemple, signifié qu’un excédent fiscal, via une politique d’austérité, de l’ordre de 5% du PIB crédibiliserait la politique du gouvernement argentin et, de ce fait, faciliterait une renégociation avec les bailleurs de fonds 40. Cette exigence était impossible à mettre en œuvre car elle était de nature à mettre le feu aux poudres dans un pays passablement agité. A l’époque, 23.000 Argentins tombaient, chaque jour, sous le seuil de pauvreté. Et entre le 1er janvier et le 31 décembre 2002, 16.000 manifestations (dont certaines durement réprimées par l’administration Duhalde) ont éclaté dans le pays. Un scénario de déstabilisation des institutions, si le gouvernement accédait aux exigences délirantes du FMI, ne pouvait être exclu. Et c’est après la dévaluation du peso de 2003 que la croissance économique et la paix sociale sont revenues en Argentine. Cela a naturellement permis au pays de bénéficier d’un autre rapport de forces face à ses créanciers.

Dans ces conditions, arguer de l’existence d’un modèle équatorien faisant autorité et l’opposer aux pratiques de l’administration Kirchner, comme le font certaines tendances de l’alter-mondialisme (en Europe, surtout) en soutenant qu’il n’existe qu’une et une seule manière de restructurer une dette publique, précisément via l’organisation d’un audit citoyen, relève du non-sens. Tant les situations des deux pays étaient aux antipodes l’une de l’autre au moment où ils se mettaient autour de la table avec leurs créanciers.

Radicalisation?

Renoncer à prendre en compte le facteur « pression » pour analyser la situation de l’Argentine ne peut conduire qu’à des approximations de jugement. Ceci dit, le FMI, vecteur du libéralisme au Sud, n’a, pour l’heure, pas l’air de trouver que la politique du gouvernement argentin manque de radicalité. Bien au contraire, le FMI a décidé de fermer ses bureaux à Buenos Aires à la fin du premier trimestre 2012. La chose témoigne naturellement de relations difficiles entre Buenos Aires et l’organisme dirigé par Christine Lagarde41.

A l’heure où ces lignes étaient écrites (janvier 2013), le gouvernement argentin étudiait la possibilité de se retirer du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) et de dénoncer les traités bilatéraux d’investissement signés dans les années 90 42.

Les traités bilatéraux d’investissement (TBI) font partie d’un régime d’investissement international encadrant la manière selon laquelle un pays (et son gouvernement) peut établir des règles applicables quant aux avoirs étrangers. Pour des questions de rapports de forces, il n’est guère difficile d’imaginer que ces traités ne sont guère favorables aux pays périphériques. Prenons, par exemple, le traité entre l’Argentine et les États-Unis relatif à l’encouragement et à la protection réciproques de l’investissement de 1992. Celui-ci, par exemple, stipule, en son article 5 alinéa 1, que « chaque partie permettra que soient effectués en toute liberté et sans entraves les transferts liés à un investissement, en ce compris les rapatriements de profits ». Quant au Cirdi, il s’agit d’une juridiction d’arbitrage dépendant de la Banque mondiale qui, depuis 1965, se consacre à résoudre les différends entre pays adhérents à la convention de Washington du 18 mars 1965. Tous les pays membres de la Banque mondiale ne sont pas membres du Cirdi (ainsi, le Brésil). Dans les faits, le Cirdi sert surtout à offrir une protection aux multinationales qui investissent dans des pays périphériques. Jusqu’à présent, trois Etats d’Amérique du Sud (la Bolivie, l’Equateur et le Venezuela) ont pris leurs distances avec cette instance de la Banque mondiale.

Naturellement, la direction que prendra l’Argentine dépendra fortement de la teneur de l’arrêt que prendra la Cour d’appel de New York fin février. Si la thèse des fonds vautours est validée par la justice américaine, la chasse au dollar risque de marquer le pas sur tout autre type de considérations à Buenos Aires. Dans le cas contraire, un virage à gauche n’est pas du tout à exclure.

En attendant, le pays de Gardel, d’Evita et de Discépolo vit encore et toujours sous pression. La pression, un facteur à ne pas exclure pour quiconque veut étudier sérieusement l’Argentine kirchnériste, cette Argentine rebelle qui a choisi de revivre après le chaos.

  1. 1. On rappellera, à toutes fins utiles, que Cristina Fernández de Kirchner a été réélue, le 23 octobre 2011, avec près de 55 % des suffrages.
  2. 2. Argentine un pays sous pression (Fondation Jacquemotte)
  3. 3. Extrait de l’hymne national argentin… 
  4. 4. A ce sujet voir le site du Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative (Gresea), Libertad, voilier convoité par un vautour, 13 novembre 2012,http://www.gresea.be/spip.php?article1082. Pour plus d’informations sur NML Capital, voir le quotidien argentin, La Nación, édition mise en ligne le 22 octobre 2012
  5. 5. Url : http://www.ara.mil.ar/fragata09/historia.asp (site des forces navales argentines consacré au voilier Libertad). Date de consultation : lundi 8 janvier 2012.
  6. 6. Url : http://www.nmlcapital.com/, (site de NML capital). Date de consultation : 4 janvier 2012.
  7. 7. xcFMI, Ahmed Zoromé, Concept of Offshore Financial Centers: In Search of an Operational Definition, IMF working paper WP/07/87, avril 2007, pp.15-16.
  8. 8. Site du Tribunal international du droit de la mer (URL : http://www.itlos.org/index.php?id=15&L=1). Date de consultation : 6 janvier 2013.
  9. 9. Buenos Aires Económico, édition mise en ligne le 15 décembre 2012.
  10. 10.  Pagina/12, édition mise en ligne le 10 janvier 2013.
  11. 11. Pierre Salama in  Argentine, la chronique d’une crise annoncée, rapport à destination du Haut Conseil de la Coopération Internationale, 2002. 
  12. 12. Daniel Azpiazu et, Eduardo Basualdo, Las privatizaciones en la Argentina. Genesis, desarrollo y principales impactos estructurales, FLACSO, Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales, Buenos Aires. 2004.
  13. 13. Pierre Salama, idem.
  14. 14. Ambito Financiero, édition mise en ligne le 22 novembre 2012.
  15. 15. Pagina/12, édition mise en ligne le 29 décembre 2012. 
  16. 16. Ibidem.
  17. 17. Ambito financiero, éditionmise en ligne le 27 novembre 2012.
  18. 18. Tiempo argentinio.
  19. 19. Norberto Galasso, De la banca baring al FMI. Historia de la deuda externa argentina, coll. Encrucijadas, Ed; Colihue, Buenos Aires, 2003, p.232. 
  20. 20. Tiempo argentinio, édition mise en ligne le 5 avril 2012.
  21. 21. Carlos Saül Menem a été président de l’Argentine entre 1989 et 1999. Il mena, sous les conseils du FMI, une politique ultralibérale en privatisant les entreprises publiques. Avec son ministre de l’économie (Domingo Cavallo), il mettra en œuvre la politique de convertibilité (un dollar = un peso) afin d’attirer les investisseurs étrangers. 
  22. 22.  Marcelo Rougié, La economia del peronismo. Una perspectiva histórica, Ed.Sudamericana, coll nudos de la historia argentina, Buenos Aires, 2012, p.196.
  23. 23. La Libre Belgique, édition mise en ligne le 28 octobre 2011. 
  24. 24. Les Echos, édition mise en ligne le 28 octobre 2011.
  25. 25. Marcelo Diamand, La Estructura Productiva Desequilibrada Argentina y el Tipo de Cambio, Revista Desarrollo Económico, Vol. 12, N° 45, Buenos Aires, 1972. C’est ce schéma de structure productive déséquilibrée qui explique qu’avec le temps, les exportations argentines sont devenues à ce point dépendantes du secteur agricole. Puisque le secteur industriel n’arrive pas à suivre les gains de productivité du secteur primaire (progrès de la chimie, génie génétique,…), le seul secteur qui arrive à gagner des devises est l’agriculture qui renforce ainsi son poids dans l’économie.
  26. 26. Pour mémoire, un point de base désigne un  centième de pourcent.
  27. 27. Banque mondiale, août 2012.
  28. 28. La Tribune, édition mise en ligne du 2 mars 2012.
  29. 29. Instituto Nacional de Estadística y Censos (INDEC cité par Pagina/12, édition mise en ligne du 14 septembre 2012.
  30. 30. Banque mondiale, Finance for all. Policies and pitfalls in expanding access, Washington, 2008, p.190. 
  31. 31. Les Echos, édition mise en ligne le 10 décembre 2013.
  32. 32. Cronica, édition mise en ligne le 10 décembre 2012.
  33. 33. Voir à ce sujet, l’article d’Eduardo Lucita, membre du collectif argentin des Économistes de Gauche (EDI), « Argentine. Fonds vautours. Le prix à payer pour n’avoir pas audité la dette », 7 janvier 2013 sur le site du CADT (http://cadtm.org/Argentine-Fonds-vautours-Le-prix-a).
  34. 34. La charge de la dette, par contre, ne désigne que le poids des seuls intérêts. La charge comme le service de la dette sont mesurés par rapport au PIB.
  35. 35. Oficina nacional de crédito publico, Deuda pública, données arrêtées au 30:06/12. 
  36. 36. Oficina nacional de crédito publico, ibidem.
  37. 37. Cité par le site www.latinreporters.com, 14 décembre 2008.
  38. 38. Ibidem.
  39. 39. Le blog de Jean-Luc Mélenchon, « Comment l’Equateur s’est libéré de la dette ? », (URL : http://www.jean-luc-melenchon.fr/arguments/comment-lequateur-sest-libere-de-la-dette/). Date de consultation : 15 janvier 2012.
  40. 40. Eduardo Amadeo, La salida del abismo, Ed.Planeta, Buneos Aires, 2003, p.262.
  41. 41. La Nación, édition mise en ligne du 10 mars 2012.
  42. 42. Pagina/12, édition mise en ligne le 7 janvier 2013.