FDF, Wallonie, Bruxelles, rattachisme (I)

I) Le FDF au coeur des invariants belges transhistoriques
26 février, 2009

L’entrée de Rudy Aernoudt ( http://www.liberaldemocrate.be/ ) au MR, admis le 21 février suite à un vote de l’inter-groupe parlementaire MR, mais éjecté le 23 suite à la menace de scission du FDF à la suite de cette décision donne la mesure du poids de ce parti ou fraction de parti de parti implanté à Bruxelles, la plus importante agglomération du pays. Il en tire sa force. Mais c’est plus que cela, l’histoire du FDF est une clé pour entrer dans celle de la Wallonie et tous les débats actuels. Nous allons l’expliquer en plusieurs parties.

Il faut bien voir que le FDF, fondé le 11 mai 1964, fut qualifié dans les premières années de son existence de parti circonstanciel, certains même de ses leaders le voyant comme cela.

Un parti qualifié de circonstanciel mais qui (logiquement), dure

Quarante-cinq ans plus tard, il est toujours là et bien là. C’est très probablement qu’il constitue une donnée fondamentale de notre sociologie politique liée à certains invariants transhistoriques comme le caractère tripartite de la Belgique historique, économique, politique et sociale (Flandre, Wallonie, Bruxelles). Parlant de la Belgique en 1914, Henri Pirenne écrivait ces lignes en lesquelles nous nous retrouvons encore, malgré les évolutions: “Vers Bruxelles gravitait comme vers son centre naturel, toute l’activité économique. Là étaient ses organes régulateurs, banques, sièges des grandes sociétés anonymes, à côté du palais du roi et de la nation. Capitale indispensable et incontestée d’un pays surpeuplé et surchauffé, elle grandissait à mesure qu’il s’efforçait davantage, débordant de toutes parts sous l’afflux des habitants nouveaux qu’elle attirait pêle-mêle de Flandre et de Wallonie. Il y avait relativement plus de Belges à Bruxelles que de Français à Paris, et cette grosse agglomération centrale, faite de la substance des deux parties de la nation, et si bien placée qu’on eût dit son site choisi au compas juste au milieu du territoire, tenait ensemble comme une puissante agrafe toute la Belgique. Et comme autour d’elle les grandes villes étaient trop nombreuses, la population active, l’esprit régionaliste trop puissant, les autonomies locales trop invétérées pour qu’elle parvînt à s’y imposer et à les entraîner à sa remorque, elle jouait en somme le rôle d’un centre commun d’attraction autour duquel tout le reste gravitait sans s’y absorber. Dans cet ensemble complexe se manifestaient les deux tendances contradictoires qui caractérisaient la civilisation européenne du momeent: le nationalisme et l’internationalisme. L’agitation flamingante et la réaction wallonne qui en était le contre-coup découlent en effet, si l’on envisage leur cause profonde, de la persistance de traditions et de souvenirs dont la langue n’est que le moyen d’expression. Leur but , conscient chez quelques-uns, inconscient chez la plupart, est le retour à l’autonomie régionale, grâce à laquelle le groupe national pourra se reconstituer dans la pleine originalité qu’il se pique naïvement de lui avoir jadis appartenu. “Mijn land is mij niet te klein” disait fièrement J-F Willems, et à cette parole s’oppose l’ “Amon nos autes” des wallonisants. Il y a là incontestablement une protestation contre le présent, disons mieux, contre l’évolution tout entière des temps modernes qui a si impitoyablement écrasé sous son cosmopolitisme niveleur, les particularités, les singularités, les libertés provinciales, les caractères ethniques de l’Ancien Régime. A cet égard, tout nationalisme est conservateur ou même réactionnaire en son principe, en ce sens qu’il s’élève contre ce qui est au nom de ce qui a été. Son énergie dépend par conséquent de l’écart plus ou moins grand de ce qui a été et de ce qui est. Or, cet écart, on l’a déjà dit à suffisance, n’étant pas très grand dans la communauté belge, il en résulte que l’action centrifuge du nationalisme n’y peut franchir les bornes que lui assigne l’histoire et que le passé qu’il prétend restaurer n’est pas si éloigné du présent. En d’autres termes, le nationalisme n’y est pas incompatible avec le maintien de la civilisation commune à laquelle il a participé à toutes les époques.1.

Pirenne et Perin étrangement comparses

Cette représentation qu’a Pirenne du régionalisme dans les années 1920 doit être rapprochée d’autres représentations plus contemporaines. Il est clair que Pirenne n’imaginait pas l’avenir du nationalisme, tant wallon que flamand, au coeur d’Etats autonomes vivant dans un lien quasiment confédéral. Et il a toujours plutôt imaginé que l’unité belge se ferait en français. Or dès avant 1914, cette unité française du pays était plus contestée que Pirenne ne l’avait perçu. A Bruxelles même, elle a pu être défendue par les célèbres “provinciaux se bruxellisant” de Pierre Lebrun2, soit des Wallons, soit des Flamands, mais francophones les uns et les autres. Mais aussi les Wallons plus modestes dont parle Chantal Kesteloot en dressant le portait d’un militant wallon des “ligues wallonnes” de cette époque que nous venons d'évoquer avec Pirenne. L'historienne bruxelloise s'exprime comme suit: ”Dans leur engagement, la langue [le français NDA] revêt un aspect fondamental. Elle est un instrument de travail qu’ils vénèrent et veulent protéger. Mais elle n’est pas le seul ciment de leur engagement. Le culte de la “petite patrie” est source d’une sociabilité qui relève à la fois du combat politique (s’affilier à une ligue wallonne), identitaire (reformer à Bruxelles une famille wallonne), social (se grouper dans une approche philantropique) et culturel (assister à des soirées, galas pièce de théâtre ayant un lien avec la Wallonie, son histoire, sa culture, ses dialectes). C’est un militantisme teinté de nostalgie comme s’ils étaient heimatlos...” (on aura noté sa condescendance naïve à l'égard les Wallons) 3 Le Manifeste pour la culture wallonne affirmera une identité wallonne moderne, ouverte, ayant irrévocablement rompu avec les nostalgies de type “petite patrie”. Mais en affirmant l’identité wallonne de cette façon, ce manifeste mettra en cause tant la théorie de Pirenne (qui l’étendait à toute la Belgique), que celle du FDF (et d’autres), soulignant le caractère seulement français (francophone, mais en un sens qui élimine toute différence d'avec les francophones de France, peut-être aussi d'autres pays...), des Bruxellois francophones et des Wallons, identifiés les uns aux autres pour l’essentiel au détriment de toute autre appartenance, François Perin s’exprimera comme suit sur le Manifeste, comme en écho à Pirenne, très paradoxalement, d’autant plus que les mêmes mots wallons sont utilisés (en guise de mépris), par l'un et l'autre: “Je dis non au wallonisme d’”amon nos autes”. Il y a une identité française de la Wallonie et non une identité wallonne. Il ne faut pas confondre une culture et une guindaille. J’aime beaucoup chanter le “Bia Bouquet” ou “Ratintot” à Namur mais il ne faut pas prendre les Wallons pour des Corses ou des Occitans. Je ne veux pas être un Wallon bretonnant de Liège.4. Les allusions à la langue régionale wallonne sont d'autant plus étranges que le Manifeste de 1983 ne s'y référait pas.

Manifeste wallon, Manifeste bruxellois et “Patrie francophone” du FDF

La thèse de l’identité française – et seulement française – des Wallons et des Bruxellois que le FDF défend, semble rejoindre ce que Pirenne dit de la Modernité ou de la supériorité d’un certain centralisme et cosmopolitisme sur les “particularités provinciales, les singularités, le caractère ethnique”. C’est une vieille critique et une vieille réaction à toute affirmation wallonne: des études menées en dehors du contexte belge ont bien analysé cette question sans la trancher nécessairement dans le sens de Pirenne ou plus tard de François Perin (ou du FDF), comme nous l’avons souligné 5. En somme cette idée du “repli sur soi” wallon évoqué par Pirenne est défendue par un FDF qui très étrangement est un parti régional, défenseur de l’autonomie d’une région même si en l’occurrence cette région est aussi une capitale, l’ “agrafe” dont parlait le vieux Pirenne. On a pu décrire la question bruxelloise comme atypique “face aux questions flamande et wallonne6 Mais il faut sans doute englober dans cet atypisme le FDF lui-même. On le verrait bien, en effet, contester aux mouvements tant flamand que wallon la légitimité ou la modernité que Pirenne leur opposait. Mais le FDF le fait, d’une part en opposant au nationalisme flamand l’idéal d’une Belgique française unifiée où la différence entre Wallons et Bruxellois est secondaire. Et il le fait, d’autre part, en réclamant,  dans le cadre d’une Belgique possiblement à trois, l’autonomie de Bruxelles, mais, en réalité, tout en espérant que celle-ci se rallie la Wallonie au sein d'une Communauté française, institution exprimant l’identité française de la Belgique française, la similitude absolue de la Wallonie et de Bruxelles. Assez étrangement, le FDF, très enraciné à Bruxelles, et influent pour cette raison comme on l’a vu dans l’affaire Aernoudt, n’est pas réellement un parti régionaliste bruxellois. Même si c’est moins fortement que le Rassemblement wallon, il a été dirigé par des personnalités assez clairement francophiles et rattachistes – Lucien Outers et André Lagasse par exemple. Le rattachisme pur et simple du FDF – ce n’est pas son objectif proclamé, mais son idéologie française y conduit, nous pensons pouvoir le montrer dans la suite de ces articles – est aussi une façon paradoxale de concrétiser le vieux rêve des bourgeois de 1830 de réaliser une Belgique française, copié-collé de la Grande Nation. Mais son rattachisme entre en contradiction avec la nécessité qu’il a, puisqu’il est limité aux 19 communes bruxelloises, de défendre Bruxelles comme “Région à part entière”. Le FDF est le seul parti spécifiquement bruxellois et donc d’une certaine façon doit faire preuve de régionalisme bruxellois. Depuis décembre 2006, il se retrouve face au Manifeste bruxellois "Nous existons" qui se réclame d’un Bruxelles bilingue (quoique de majorité francophone dans les faits, chose que ce Manifeste admet), et d’un régionalisme bruxellois qui vise à une entente entre les trois parties du pays, non plus en associant Wallons et Bruxellois francophones pour sauver la civilisation française de Belgique, mais pour parvenir à une entente entre Wallons, Bruxellois et Flamands.

Le FDF seul parti de la “patrie francophone” implanté dans une seule région

En somme le FDF, parti essentiellement antiflamand, évoque le phénomène des doubles chez René Girard. Plus la rivalité entre deux groupes humains s’accentue, plus ils se ressemblent, plus la violence qui monte entre eux les conduit à la perte de leur personnalité. On pourrait dire que le FDF, malgré les apparences, est en faveur d’un fédéralisme belge à deux, non à trois. On le voit à la réaction du parti aux accords dits de la Saint-Quentin, en 1993.

Ceux-ci, conclus dans la nuit du 30 au 31 octobre 1992, furent concrétisés par des votes en juillet 1993 émis par le Parlement wallon, le Parlement de la Communauté française et le Parlement de la Commission communautaire francophone à Bruxelles. Ils transféraient à la Région wallonne et à la Région bruxelloise une série assez impressionnante de matières: le tourisme, les infrastructures sportives, la promotion sociale, la gestion du patrimoine immobilier de l’enseignement public, des compétences en matière de santé, la politique des handicapés etc. 7 Charles-Etienne Lagasse remarque que ces compétences ne représentaient que 10% du budget de la Communauté française, sans rappeler que l’enseignement, à lui seul, constituait déjà alors l’essentiel du budget de cette Communauté (mais très bon spécialiste des institutions belges, CE Lagasse ne cache nullement dans cet ouvrage de référence sa préférence pour la Communauté, citant assez souvent le Manifeste francophone de 1996, très opposé au Manifeste pour la culture wallonne dont le juriste bruxellois ne croit pas devoir  faire mention, alors que le texte wallon a évidemment eu infiniment plus de retentissement). Le président d’alors du FDF, Georges Clerfayt, ne s’y était pas trompé, écrivant, sous le titre significatif La patrie des francophones est en danger: ”Après la Saint-Quentin et le début de la mise à mort de la Communauté française, les ultrarégionalistes socialistes, suivis par le PSC et les Ecolos ne vont pas en rester là. Ils voudront aller plus loin et tout régionaliser. Si nous sommes isolés comment les en empêcher?8 En septembre 1993, le FDF créera une Fédération avec le PRL d’alors (ancêtre du MR), fédération (différente d’un cartel finalement, la chose nous semblant facilitée par le fait que le MR est en Wallonie exclusivement et à Bruxelles en concurrence avec le FDF), qui s’ouvrira au MCC de Gérard Deprez en 1998, le tout formant le MR en mars 2002, où MCC et FDF gardent cependant leur spécificité 9.

Le FDF ne présente de candidats qu’à Bruxelles (aux élections régionales et fédérales, les européennes n'ayant que deux circonscriptions calquées sur les Communautés française et flamande). Comme le révèle bien le discours de G.Clerfayt en 1993 ("si nous sommes isolés..."), l’année de la fédération avec le PRL, même si le FDF est bien implanté à Bruxelles, il a besoin d’un pendant wallon dans l’espoir d’imposer sa vision exclusivement francophone de la Belgique non-flamande. Il l’avait trouvé d’abord avec le Rassemblement wallon de 1968 à 1981, mais les choses tournèrent mal en 1981 lorsque, avant les élections de cette année-là, une partie importante du Rassemblement wallon refusa d’aller aux élections sous un sigle commun FDF-RW. A ces élections, le FDF perdit une partie importante de sa représentation parlementaire, tout en se maintenant, comme il se maintenait dans les communes importantes de l’agglomération bruxelloise, au Parlement fédéral et au Parlement bruxellois. La grave divergence entre le FDF et le MR sur le cas Aernoudt est sans doute là pour nous rappeler qu’entre le FDF et d’autres partis wallons, l’entente n’est jamais évidente. Elle a tenu un peu plus de 13 ans avec le RW de 1968 à 1981. Elle tient depuis 16 ans avec le MR. Même si le MR n’adhère pas à la vision régionaliste qui fut celle du Rassemblement wallon, même si l’idée d’un Front francophone contre les Flamands semble bien être la stratégie de l’ensemble des partis francophones, notamment et surtout celle du CDH, les régionalistes wallons au PS continuent à s’exprimer, comme un peu aussi au MR, un peu plus librement que les régionalistes du CDH et d’Ecolo qui n’ont pas disparu, mais sont priés d'être discrets, pour l’instant.

Le FDF a aussi des régionalistes

Nous essayerons de montrer dans notre prochain article comment ces divergences entre Wallons et Bruxellois francophones, voire même entre Wallons de Bruxelles et Bruxellois francophones ont pu s’exprimer de 1900 à la fondation du FDF en 1964. On pourrait dire que dans l’orientation prépondérante des partis francophones d’aujourd’hui,  dans les forces qui meuvent la société civile,  dans ce que tout cela a engendré comme institutions dans l’Etat fédéral belge, les deux visions, l'une communautariste ou belge francophone/rattachiste, l'autre régionaliste tant bruxelloise que wallonne, demeurent présentes sans qu'on puisse dire finalement laquelle l'emporte ou l'emportera sur l'autre. La vision francophone belge (qui n’est jamais très loin du rattachisme), enlève leurs spécificités tant à Bruxelles qu’à la Wallonie, soit au coeur de la Communauté française de Belgique, soit au sein d’une France demeurant jacobine malgré des Régions autonomes mais sans pouvoir législatif. La vision des régionalistes wallons et bruxellois (le régionalisme bruxellois étant plus récent), peut s’autoriser des réalisations du chantier fédéraliste depuis une trentaine d’années, mais est en contradiction profonde avec l’actuelle stratégie des partis francophones considérant Bruxelles et la Wallonie comme un espace d’un seul tenant auquel leurs structures se sont adaptées. Paradoxalement, le seul parti (même s’il est lié au MR, on voit bien avec les derniers événements qu’il en est distinct), implanté dans une seule région, c’est le FDF qui, pourtant, rêve bien d‘un seul espace francophone belge unifié. Mais lui aussi, dernier paradoxe, a ses régionalistes comme Didier Gosuin bourgmestre d’Auderghem, ancien ministre régional bruxellois et député régional bruxellois  qui déclarait encore l’an passé ''La Communauté, finissons-en !'' 10

Prochain article: A Bruxelles, défense de la Wallonie ou défense de Bruxelles français? (1900-1964)

 

  1. 1. Henri Pirenne, Histoire de Belgique, Maurice Lambertin, Bruxelles, 1948, Tome VII, pp. 390-391.
  2. 2. Pierre Lebrun et alii, Essai sur la révolution industrielle en Belgique, Palais des Académies,Bruxelles, 1979, pp 589 et suivantes.
  3. 3. Chantal Kesteloot, Au nom de la Wallonie et de Bruxelles français, Complexe, Bruxelles, 2004, p. 39.
  4. 4. Jules Gheude, L’incurable mal belge sous le scalpel de François Perin, Mols, Wavre, 2007, Perin, dans une déclaration de 1985 citée p. 220.
  5. 5. Voir le paragraphe Le manifeste pour la culture wallonne dans des études en anglais, in Les données profondément modifiées de la question wallonne (+ les transferts)
  6. 6. Daniel Seiler, Les partis autonomistes, PUF, Paris, 1982, p. 98.
  7. 7. Charles-Etienne Lagasse, Les nouvelles institutions politique de la Belgique et de l’Europe, Erasme, Bruxelles, 2003, p. 240.
  8. 8. Georges Clerfayt, La patrie des francophones est en danger, in Espace francophone, n° 10, 1993, p. 3.
  9. 9. http://www.fdf.be/spip.php?rubrique110
  10. 10. in Le Soir, 17 avril 2008.