Le nouveau débat sur l'identité wallonne

Cet article s'enrichit au fur et à mesure de la discussion sur ce thème (ajouts des 6 mars, 8 mars, 10 mars 2010)
1 March, 2010
Rudy Demotte, Président de la Wallonie

Rudy Demotte :  identité wallonne et démocratie

Identité wallonne et démocratie sont liées.

Le travail de TOUDI y a mené. Voir Qu'est-ce que l'identité wallonne? (ajout du 24/3/10)

Rudy Demotte veut fonder un Ordre pour les talents et les succès wallons ce qui peut sembler secondaire et qui ne l'est pas: aucun pays ne fonctionne sans reconnaissance de ses élites pas seulement dans l'ordre social mais aussi intellectuel et moral ce qui, par conséquent, ne se confond pas avec la distinction des classes. Les choses sont ainsi.

Il propose aussi de changer le drapeau de la Communauté française en y plaçant tant le coq wallon que l'iris bruxellois, de même que de trouver une autre appellation pour la Fédération Wallonie/BXL. 

Et d'une manière générale il met l'accent sur l'identité, notamment parce qu'il veut proposer à son gouvernement que la Région wallonne soit simplement rebaptisée "Wallonie", ce qui implique de modifier la Constitution belge mais le gouvernement wallon peut tout de suite décider qu'il en est ainsi, ce qu'il fit avec les dénominations "Conseil régional" (transformé en Parlement par G.Spitaels) et "Exécuitif" (transformé en Gouvernement par le même). 1

Notons que le Professeur Jean-Marie Klinkenberg avait fait ces propositions dès 1992, soulignant dès cette année que ces changements n'avaient rien de secondaire. Il  le faisait dans :

Citoyenneté des mots pour la dire

Voir aussi le débat suite à l'éditorial très (et trop...) négatif du "Soir" de ce 4 mars L’identité wallonne, une carte à usage interne au PS par PASCAL LORENT



C'est une vraie et même une grande victoire pour ceux qui lancèrent le 15 septembre 1983 le Manifeste pour la culture wallonne, reprenant son propos le 15 septembre 2003. Car il me semble que ces propositions seront acceptées tellement elles vont dans le bon sens (au sens de l'expression : le "bon sens" le common sense...) 

Demotte propose aussi que l'on trouve une devise pour la Wallonie. 

Les ennuis des Wallons sur Wikipédia en français sont venus de l'acharnement de certains (que les responsables Wikipédia n'ont jamais pu gérer), de différencier Wallonie et Région wallonne, ravalant celle ci à une pure entité, d'ailleurs même plus administrative que politique. On peut utiliser le mot "Wallonie" dans des circonstances solennelle. Par exemple dire que la Wallonie assume tel succès moral (l'ouverture aux immigrés par exemple), ou bien pour les croyants, on peut prier pour la Wallonie, mais évidemment, moralement c'est difficile d'utiliser les mots "Région wallonne" dans les deux situations citées.

La transformation proposée a quelque chose de capital, car c'est l'accès pour la Wallonie à un régime que l'on pourrait dire "humain". Le flop de la célébration nationale des victimes de Buizingen aurait pu être évité si, au lieu de faire cette cérémonie à Bruelles, on l'avait faite à Mons (qui semble plus logique qu'Hal étant donné le nombre de victimes du Hainaut), et la faire à Mons (même dans une église déconfessionnalisée pour la circonstance, c'est ce qui a été fait à Liège avec la catastrophe), avec le Premier Ministre et en proposant que la célébration soit bilingue également, mais que Rudy Demotte y joue le rôle principal. Il y a des lieux proches des gens qui ne trompent pas, il y a des lieux qui en sont éloignés ou qui ne conviennent pas. Au moins aussi, on pourrait faire comprendre que "Wallonie" n'est pas une sorte d'anti-Flandre, ni d'anti-Bruxelles. 2

 

L'aveu de Pierre Bouillon (Le Soir du 6 mars)

Parlant de l'initiative de Rudy Demotte, Pierre Bouillon dans Le Soir du 6 mars écrit ceci : "Quand un Bruxellois, un Flamand ou un étranger songe à la Wallonie, on peut raisonnablement deviner que les mots qui lui viennent spontanément à l’esprit (à part Grottes de Han ou circuit de Spa), c’est Charleroi, déclin industriel, chômage colossal, Michel Daerden, pratiques politiques douteuses. Ceci posé, le discours sur l’image, à la longue, ça devient un peu lassant. Parce que travailler l’image, les perceptions, ça sert à rien quand la réalité n’est pas, comment dire, synchrone ?  (...) Qu’on cesse de dire que l’image de la Wallonie doit changer. C’est la Wallonie qui doit changer."

Ce texte a quelque chose d'un peu étonnant, car il est simplement l'aveu que Pierre Bouillon (et beaucoup de journalistes du Soir?), ne veulent voir en la Wallonie que le tourisme à la limite du folklore (les grottes de Han), et tout ce qui ne va pas en Wallonie, soit Charleroi, Daerden, les pratiques politiques douteuses. Il fait justement un choix de l'image qu'il a de la Wallonie et qu'il tente évidemment de diffuser et imposer via son journal. C'est son droit et la presse est libre. La revue TOUDI le sait mieux que personne. Seulement, ce choix est parfaitement injuste. Il devrait savoir par exemple que le fait d'évoquer les "pratiques politiques douteuses" participe d'un certain discours antipolitique, dans la mesure où il ne s'agit jamais que d'exceptions, le cas de Charleroi étant quand même réglé depuis plusieurs années. Avec le commentaire que me faisait un journaliste travaillant à Bruxelles (mais pas au "Soir"), que dans cette affaire, les médias avaient tout de même profondément exagéré. Surtout quand l'on compare par exemple les sommes en jeu dans les pactes de corruption signés à Charleroi et ceux qui l'ont été dans la mafia des hormones, les charbonnages du Limbourg ou - pire encore - à la Sabena.

Il devrait savoir aussi que les réalités sociales n'existent qu'à travers l'image qu'on en dresse et que cette image est manipulable à l'infini, notamment  quand il s'agit de minorités ou de positions minoritaires comme l'est celle de la Wallonie parce que toujours perçue à Bruxelles - hélas! - comme la  province par rapport à une capitale à laquelle le fédéralisme fait perdre  son statut.

Et puis, sont également de Wallonie d'autres réalités à travers lesquelles elle pourrait être également définie et qui constituent tout aussi légitimement une image que l'on peut avoir d'elle qui viennent, en tout cas - fameusement -, corriger celle que Pierre Bouillon tente d'imposer. Sont aussi de Wallonie, l'Université catholique de Louvain qui est l'une des meilleures universités d'Europe, les 40 entreprises wallonnes leaders mondiales dans leur domaine comme par exemple GSK à Rixensart, les ingénieurs liégeois qui ont été à l'origine du choix des diverses techniques qui ont présidé à la construction du viaduc le plus haut du monde, celui de Millau, le cinéma wallon, celui des Dardenne notamment  et leurs films dont la revue américaine Arts and faith considère qu'ils sont parmi les meilleurs de l'histoire du cinéma du point de vue de la profondeur spirituelle, le système de sécurité sociale en Belgique que la classe ouvrière wallonne  a imposé en raison de sa force organisée dans les syndicats de travailleurs, l'immense majorité des communes wallonnes qui sont gérées par un personnel politique compétent et honnête, l'appareil logistique d'une Wallonie qui compte le 6e aéroport européen pour le fret (Liège, également deuxième port fluvial d'Europe), le deuxième aéroport de Belgique pour le transport de personnes (Charleroi), les navetteurs wallons qui, par leur travail et celui de leurs collègues flamands font de Bruxelles l'une des régions les plus riches d'Europe, le patrimoine majeur de Wallonie qui ne se réduit pas aux grottes de Han et qui d'ailleurs n'inclut pas seulement des réalités matérielles, mais aussi,  sous le nom de "patrimoine immatériel", des réalités humaines et culturelles qui ont ému des spécialistes du monde entier.

Sont également de Wallonie - c'est étonnant qu'on l'oublie - le système judiciaire belge, mais implanté en Wallonie, qui a permis que les dérapages de Charleroi et d'ailleurs soient poursuivis et sanctionnés, l'attachement séculaire des Wallons à la démocratie et leur héroïsme notamment dans la Résistance, la patience avec laquelle ce peuple minorisé dans l'Etat belge depuis 1884 a réussi à imposer une forme d'autonomie dans le cadre belge actuel qui l'émancipe par rapport à la dépendance d'une majorité flamande dont la société fait d'autres choix idéologiques que les siens. Toutes ces réalités,  de même que le développement d'une province comme celle du Brabant wallon, la croissante constante des exportations du sud du pays depuis plus d'une décennie, la beauté des paysages mosans, les réalisations techniques innovantes dans le passé comme le présent, au long de ce grand fleuve, les grands musées de Charleroi, d'Hornu, de Liège, de Namur, les grandes écoles en matière d'interprétariat par exemple et d'informatique, l'équipement de loin supérieur à celui de la France de tout ce qui relève de l' éducation spécialisée (enseignement spécial, homes pour personnes âgées, homes pour handicapés et enfants du juge), tout cela fait aussi partie de la Wallonie. Comme d'ailleurs aussi Le Soir qui trouve en pays wallon la majorité de ses lecteurs ce qui ne l'oblige à rien, sauf moralement. Car souligner à l'envi (Pourquoi, par quelle hostilité? Cette hostilité étant tellement visible...), que l'image de la Wallonie est mauvaise, c'est la condamner par le système de dénégation que la psychanalyse appelle "chaudronner"...  3.

L'avis de Paul Piret sur les quolibets débiles

Nous aurons tout de même eu la satisfaction de lire un éditorial qui ne s'est pas écrit en cinq minutes sur le bout d'une table par un journaliste se contentant de resucer les argumentaires antiwallons depuis le Manifeste de 1983. Voici ce qu'écrit Paul Piret qui a bien compris que la presse ne peut pas se laisser leurrer par l'initiative d'un gouvernement qui cherche aussi à vendre sa politique, mais qui ne doit pas non plus se laisser leurrer par des analyses acérées qui identifient nécessairement l'identité wallonne à celui du gouvernement en place à Namur. Dieu sait si cette revue a toujours été étrangère aux calculs politiques  des hommes en place. Dieu sait aussi que, depuis 1983, ceux qui parlent d'identité wallonne ont plutôt eu maille à partir avec la particratie socialiste et autre. Paul Piret écrit en conclusion d'un travail bien pensé et bien équilibré, nourri de simples sagesses et de contacts pris dans les deux bords:

L’identité n’est pas forcément repli; ni radicalisation nationaliste comme on l’entend trop souvent en Flandre; ni "croisade anti" comme elle a dégénéré en France. Le concept est tout sauf négatif si on singularise par là un type de citoyenneté politique, d’enracinement, de dessein collectif voire de fierté. Le concept est toutefois ardu. Les tentatives précédentes de nourrir le sujet le prouvent. Notamment parce que les appels à adhérer se gâtent facilement dans la promotion voire la propagande d’une politique régionale déterminée. Il y a là, impérieux, un juste milieu à trouver. Tout comme dans les critiques décochées à la Wallonie, auxquelles un courant identitaire peut faire figure de riposte: entre celles que la Région mérite toujours d’abondance et celles redevables de quolibets toujours débiles. 4

Voir aussi

Il arrive que le sentiment wallon soit aussi fort que le sentiment belge selon certaines enquêtes : "Une autre question (fermée) est posée comme suit « Vous arrive-t-il de vous sentir ...Belge, Wallon, Flamand jamais, rarement, de temps en temps, souvent, très souvent, toujours ? » 44,6 % des Wallons répondent « tout le temps » 1 et « très souvent » wallon et 44,2 % des Flamands flamand. On peut répondre pour  d'autres niveaux et la réponse « Belge » (« Belge très souvent ou toujours ») correspond à 43,9% chez les Wallons et 35% chez les Flamands. Il y aurait égalité du sentiment wallon et  belge..." in Force et paradoxe du sentiment wallon.

Un politologue français a même parlé d'une Identité wallonne hypermoderne et d'une Identité hypermoderne des militants wallons et québécois.

Comprendre (facilement) le débat Communauté/Région de 1983 à aujourd'hui (en bref et liens vers d'autres analyses)

Mouvement du Manifeste Wallon : Le débat (en général) entre les partisans de la communauté et ceux de la Région, tant en Wallonie qu'à Bruxelles. Le texte de différents manifestes depuis le Manifeste pour la culture wallonne du 15 septembre 1983 abondamment cité dans le débat actuel

Littérature en anglais sur le Manifeste pour a culture wallonne

A.Daw (Université de Gand)

A.Daw (suite)

 

  1. 1.   Informations données par La Meuse que nous explicitons par ailleurs en cette page
  2. 2. Voir aussi la discussion sur le Forum de TOUDI
  3. 3. lire à partir de "un homme emprunte un chaudron à un ami" in freud-lacan.com
  4. 4. La Libre Belgique du 10 mars 2010:  Et si on parlait d'identité